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Austerlitz d'après l'oeuvre de Sebald de Jérôme Combier à l'Opera de Lille

Austerlitz d'après Sebald : un train musical de Jérôme Combier à ne pas manquer

Austerlitz d’après l’oeuvre de Sebald – Opéra de Lille, 18 novembre 2011

…Il ne s’agit pas d’un opéra mais d’une pièce musicale, créée au dernier Festival d’Aix, du jeune compositeur français Jérôme Combier. Cette oeuvre se base comme son titre le laisse entendre sur le roman Austerlitz de Winfried Georg Maximilian Sebald.

La musique accompagne et des bruits ou ambiances enregistrés viennent illustrer les situations narrées, devancer, amplifier ou tempérer les sentiments des deux personnages masculins principaux, Jacques Austerlitz lui-même et le narrateur qui dans l’œuvre de Sébald rencontre pour la première fois ce singulier personnage dans la gare d’Anvers.

Jérôme Combier n’aborde pas tous les passages du Roman de Sebald. La sélection de passages choisis et qu’il a mis en musique permet toutefois, à qui n’a pas lu Austerlitz, de saisir toute la force de ce chef d’œuvre, de voir en 1h30 l’énigme entourant Austerlitz se résoudre pas à pas, mesure après mesure. La musique est complexe (l’auteur dira à la fin de la Première lilloise au cours d’un échange avec le public que nombre de passage sont nés de l’association des lettres des noms des personnages à des hauteurs de notes attribuées arbitrairement. Quoi qu’il en soit si je fus incapable de saisir le côté quasi mathématique de ce procédé, j’ai perçu assez souvent le côté obsessionnel et rythmé de certains passages qui renvoient clairement aux saccades sonores caractéristiques des trains filants sur les rails (rappelons que le héros éponyme du roman éprouve une fascination mystérieuse pour les gares et leur architecture…) ou encore les leitmotivs caractéristiques des personnages (Austerlitz, sa nourrice, sa mère…).

Les projections vidéo de Pierre Nouvel ainsi que les lumières de Bertrand Couderc avec ses dominantes de noir, gris et blanc épaulaient la mise en scène efficace de Jerôme combier et Pierre Nouvel.

Austerlitz d'après l'oeuvre de Sebald de Jérôme Combier à l'Opera de Lille

Austerlitz d’après l’oeuvre de Sebald de Jérôme Combier à l’Opera de Lille

Le comédien Johan Leysen est parvenu à nous faire vivre ce double voyage dans la mémoire et dans la Vieille Europe, marque de ce roman de Sebald. Doté d’une excellente diction en français avec un très léger accent flamand (il est néerlandophone), il s’est fort bien tiré de ce difficile effort de mémoire qu’exige cette œuvre. Il quittait quelquefois la scène ou des passages d’autres personnages enregistrés pouvaient laisser quelques instants de répit à sa mémoire. S’il a pu de temps à autres, se reprendre, si sa langue a pu fourcher, que cela fût involontaire ou pas, cela contribuait avec justesse à exprimer les états d’angoisse ou de tristesse du principal protagoniste, Jacques Austerlitz, que tantôt il décrivait (dans la peu du narrateur) ou qu’il jouait.

En un mot, pour qui veut s’y frotter, ce format d’œuvre offre une très bonne formule pour rentrer dans le monde souvent complexe et ésotérique de la musique contemporaine.

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Sonya Yoncheva (Poppea) dans Agrippina d'Haendel

Merveilleuse Agrippina Handel à l'Opéra de Lille

span class= »postbody »>Dramma per musica en trois actes de Georg Friedrich Handel (1685-1759). Livret de Vincenzo Grimani. Créé en décembre 1709 à Venise.

Direction musicale : Emmanuelle Haïm
Mise en scène : Jean-Yves Ruf / Assistante : Anaïs de Courson
Scénographie : Laure Pichat
Costumes : Claudia Jenatsch
Lumières : Christian Dubet
Création maquillage : Cécile Kretschmar
avec
Alexandra Coku : Agrippina
Alastair Miles : Claudio
Sonya Yoncheva : Poppea
Tim Mead : Ottone
Renata Pokupic : Nerone
Riccardo Novaro : Pallante
Pascal Bertin : Narciso
Jean-Gabriel Saint-Martin : Lesbo
La bête : Cyril Casmèze
L’eunuque : Arnaud Perron
Le domestique : Pierre Hiessler
Orchestre Le Concert d’Astrée

Pas évident de mettre en scène un opéra baroque surtout Agrippina d’Handel à l’intrigue compliquée et qui comporte pas moins de 35 airs, ariosos différents bien souvent sous la forme da capo, le risque étant de tomber dans la surenchère voire à l’indigestion visuelle ou les effets faciles sont sans cesse mobiliser pour compenser le statisme des personnages. Mais quel intérêt pour cette œuvre où la musique est habitée d’un foisonnement inouï.

S’appuyant sur un casting excellent, Jean-Yves Ruf joue donc la carte de la simplicité pour mener notre attention avant tout sur le jeu des chanteurs, tous très bons comédiens. Le casting est en effet très efficace : tous les personnages étaient physiquement crédibles dans le rôle qu’ils devaient incarner et les couleurs de leur voix collaient bien à l’imaginaire qu’on se faisait des personnages.

Les deux sopranos de l’opéra sont extrêmement complémentaires : l’américaine Alexandra Coku est une grande femme magnifique, dans la force de l’âge, au timbre incisif, est idéal pour ce personnage manipulateur qu’est Agrippine. A l’opposé, la fraîcheur brune de la belle bulgare Sonia Yoncheva et son timbre capiteux offre une autre image plus romantique de la féminité.

Sonya Yoncheva  (Poppea) dans Agrippina d'Haendel

Alexandra Coku (Agrippina) et
Sonya Yoncheva (Poppea) dans Agrippina d’Haendel

Alastair Miles, grande basse au crâne dégarni nous donne un empereur Claude, un peu naïf (c’est un peu le dindon de la farce en réalité :). Nerone est campé par la petite (de taille) mezzo-soprano Renata Pokupic au look d’adolescent. Le contre-ténor britannique Tim Mead, au physique délicat et à la voix pure mais sonore a tout pour incarner à la perfection le romantique Ottone. Les deux courtisans, Pallante et Narciso (respectivement Riccardo Novaro et Pascal Bertin) sont crédibles et nous offre un vrai duo de Dupond-Dupont. N’oublions pas non plus, malgré une moindre présence sur scène pour ce personnage, l’espiègle basse Jean-Gabriel Saint-Martin, en fin Lesbo.

Un casting de rêve que le metteur en scène met en valeur grâce au dénuement des décors. A ce titre, le parti pris d’intégrer des sortes « d’avec moi » aux deux personnages féminins m’a paru très judicieux. Une sorte de bête (gros chien joué par Cyril Casmèze) et un domestique accompagnent quasi constamment l’ambitieuse Agrippine alors qu’un eunuque est sans arrêt au côté de la jeune et fraîche Poppea. Ces personnages satellites servent à la fois de prolongation du « Moi » de ces femmes et d’écrans humains où peut s’exprimer avec netteté la complexité de la psychologie de leur personnalité. Ainsi tapie ou grognante, la bête symbolise-t-elle les sentiments qui résonnent dans le for intérieur d’Agrippina : ou la rage qui cache une ambition entravée prête à ressurgir ou l’orgueil quasi jubilatoire de mener la danse. L’eunuque, lui, sert de miroir ou de réceptacle à la rage et la méchanceté latente de Poppea, quand lucide sur la tromperie dont elle a été victime, elle bascule du statut d’adolescente fragile à celui de femme devenant elle aussi manipulatrice.

Le choix est de porter l’intrigue à une époque moderne avec l’intérieur de ce qu’on devine une grande maison bourgeoise et une présence évidente de la sphère militaire (bottes ou gants noires et costumes beiges ou noirs rehaussés de motifs brodés, d’épaulettes, d’aiguillettes) pour les hommes (Ottone et Claudio) et quelquefois pour les femmes (scène du jardin de l’Acte III). Les courtisans eux portent le même 3 pièces avec chaussures Richelieu bicolore noires et blanches (vraiment Dupont et Dupond). Avec un petit détail bien vu par le metteur en scène : au premier acte, les couleurs de leur cravate et chemise sont antagonistes (quand l’un porte une cravate rouge et une chemise blanche, l’autre portera la chemise rouge et la cravate blanche) alors que l’opposition des couleurs « du dessous » s’effacent, symbolisant leur ralliement face à la fourberie d’Agrippine.

L’espace est simplement divisé par de grands rideaux de chaines formant tantôt des parallélépipèdes tantôt des volumes cylindriques où viendront se cacher ou apparaître ou faire les traditionnels fausses sorties des da capo. Les appartements de Poppea sont caractérisés par le lit que viendront cerner les bouquets et vases de ses nombreux admirateurs. Le proscenium est utilisé avec intelligence, les chanteurs n’hésitant pas à interagir avec le public et l’orchestre (distribution de l’or – ici des billets aux membres de l’orchestre ; discours adressés au peuple-ici le public). Le tableau du jardin est très réussi (lumières magnifiques) avec des arbres et le rideau de chaines dont le bruit imite le doux murmures des eaux qu’habitent les Crénées.

Alexandra Coku en Agrippine nous a donne une très belle prestation. Très bonne comédienne, elle sait jouer toutes les palettes émotives et psychologiques de ce personnage complexe (tantôt hiératique et hautaine, tantôt lascive ou castratrice). Manipulatrice, attendrissante en mère possessive, séductrice, tentatrice hypocrite assumée à l’intarissable rouerie. Elle a tenu ce rôle écrasant plus de 5 ou 7 arias dont le magnifique « Pensieri, voi mi tormentate » aux dissonnances et à la forme insolite pour l’époque (1709), superbement interprété. Elle a la vocalise facile, capable de prodiguer les nuances (pianos), on déplorera seulement quelques accents ci-et-là un peu trop métalliques dans le suraigu.

La très belle Sonya Yoncheva fut une admirable Poppea. Son timbre plus capiteux sied parfaitement à cette jeune fille qui va vite apprendre elle aussi à manipuler que son aîné. Quelle sûreté dans la voix ! Tout comme Agrippine elle tient le marathon vocal de son rôle avec une formidable aisance et une très bonne présence scénique. La candeur naïve fait place au calcul vindicatif et à la séduction pour effacer l’outrage qui lui est fait. Puissance et agilité sans faille dans ses airs de colères (« Per punir chi m’ha ingannata »). Au passage, le metteur en scène n’a d’ailleurs pas hésité avec bonheur à la faire jouer de ses formes avantageuses.

Tim Mead, jeune contre-ténor au physique de jeune premier était excellent en Ottone. Colorature, timbre angélique, il a tout pour devenir un des tout grands contre-ténors de la décennie. Epoustouflant de lyrisme et de tristesse dans ses airs tristes (« Voi che udite il mio lamento », « Tacero, tacero purche fedele») et en particulier dans l’arioso «Vaghe fonti, che mormorando»). On aurait cru vivre une scène de conte de fée, tellement lumière, musique et voix confinaient à l’excellence à ce moment de l’opéra. C’était sa première apparition à l’opéra de Lille. On se réjouit déjà de son autre Ottone dans la production du Couronnement de Poppée, à l’affiche en mars 2012 à l’Opéra de Lille.

La basse anglaise, Alastair Miles nous délivra un Claudio comique, comme on l’espérait, un peu sur le mode du président de la principauté de Groland, tantôt gauche, quelques fois fantoche et comme télécommandé par son serviteur Lesbos. Excellent dans le rôle comique de l’Empereur à la Groland, un peu à côté de la plaque. Vocalement, il était très bon. Sa voix est puissante et charnue, il y a eu juste à se plaindre (si l’on peut dire 🙂 de deux notes certes extrêmement graves qui, peu sonores, dépareillaient du reste de sa prestation dans son air « Cade il mondo soggiogato ».

La mezzo-soprano croate Renata Pokupic a interprété brillamment le rôle de Nerone. Colorature facile, grave sonore, ornements brillants, non avare de suraigus, elle exprimait parfaitement la nervosité et l’ambition du jeune Neron, annonciatrices de sa folie à venir.

Le contre-ténor Pascal Bertin campa un courtisan romantique à l’excès, craintif dans sa docilité et qui comme le héros de Proust fantasme à la seule vue d’une cheville blanche dénudée. Très beau timbre, voix moins sonore (en tout cas dans cette production) que celui de Tom Mead mais qui va justement bien au personnage de Narciso.

Le baryton Riccardo Novaro, fut un Pallante (l’autre courtisan) efficace. Vocalise aisée ( « La mia sorte fortunata »), ce qui pour une voix grave n’est pas toujours garantie. Il campait un courtisan plus fougueux, rendu docile qu’au prix d’un contact physique plus proche avec Agrippine.

N’oublions pas le petit rôle de Lesbus : Jean-Gabriel Saint-Martin a une voix puissance. On aurait aimé que son air annonçant le retour de Claude durât plus longtemps ! Quel beau timbre de basse et belle présence.

Emmanuelle Haim est dans la fosse, mais au combien sur scène avec ses chanteurs ! Elle avait une direction à la fois rassurante (indiquant les départs ; toujours à l’affût, agréable aussi dans sa gestuelle) et émulant les chanteurs, les accompagnant dans l’exploration des états psychologiques capricieux des différents de leur personnage. Tristesse absolue, ironie mordante ou hiératisme hautain, tout transparaît dans l’interprétation du Concert d’Astrée qui nous délivra ce soir encore une prestation de très haut niveau.

À compter le nombre de lever de rideaux et l’enthousiasme dont perlaient les conversations à la sortie du spectacle, il est évident que cette Agrippina d’Handel a plu au public lillois et belge de cette soirée (beaucoup de Néerlandais visiblement avaient fait le déplacement pour la première). On attend le Couronnement de Poppée où l’on retrouvera le Concert d’Astrée, Sonya Yoncheva et Tim Mead avec impatience !

Quelques clichés disponibles au lien suivant :
https://picasaweb.google.com/106335003176918915702/AgrippinaOperaDeLilleNovembre2011#

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Oedipe d'Enescu : la scène de la Sphinge

OEdipe (d'Enescu) : belge et sans complexe !

OEdipe d’Enescu – Leo Hussain / Alex Ollé (La Fura dels Baus) – La Monnaie, 23 octobre 2011

OEdipe de Georges Enescu
Direction musicale ¦ Leo Hussain
Concept ¦ Alex Ollé (La Fura dels Baus)
Mise en scène ¦ Alex Ollé (La Fura dels Baus) et Valentina Carrasco

Décors ¦ Alfons Flores
Costumes ¦ Lluc Castells
Éclairages ¦ Peter Van Praet
Direction des chœurs ¦ Martino Faggiani
Direction du chœur de jeunes ¦ Benoît Giaux

Oedipe ¦ Andrew Schroeder
Tirésias ¦ Jan-Hendrik Rootering
Créon ¦ Robert Bork
Le Berger ¦ John Graham-Hall
Le Grand-Prêtre ¦ Jean Teitgen
Phorbas ¦ Henk Neven
Le Veilleur ¦ Frédéric Caton
Thésée ¦ Nabil Suliman
Laios ¦ Yves Saelens
Jocaste ¦ Natascha Petrinsky
La Sphinge ¦ Marie-Nicole Lemieux
Antigone ¦ Ilse Eerens
Mérope ¦ Catherine Keen
Une femme thébaine ¦ Kinga Borowska
Orchestre ¦ Orchestre symphonique et chœurs de la Monnaie

Juste un mot rapide pour peut-être convaincre certains Parisiens de sauter dans un Thalys en direction de Bruxelles !

Avec les Huguenots, j’avais vu un spectacle magnifique (tant sur le plan de la mise-en-scène que des voix), la Médée de Chérubini avait confirmé l’excellence de la Maison…. et là encore avec Oedipe !! On dirait que le « Mortier » a pris à la Monnaie. Le titre de meilleur Opéra de l’Année pour l’Opéra Royal de la Monnaie n’est clairement pas le fruit du hasard.

La mise en scène de la Compagnie catalane La Fura dels Baus est génialissime (les concepts explorés notammant l’omniprésence de la boue représentant la peste révèlent une vraie lecture et une appropriation du mythe fine et convaincante du mythe et de l’oeuvre de la part d’Alex Ollé). Le tableau de la Sphinge (représenté par un avion et sa pilote) est franchement l’un des plus beaux que j’ai jamais vus à l’opéra.

Oedipe d'Enescu : la scène de la Sphinge

Oedipe d’Enescu : la scène de la Sphinge

Encore une production de très grande qualité ! Quelle musique incroyable d’Enescu ! Dire qu’on a un tel chef-d’oeuvre en langue française (il existe aussi une version en roumain) et qu’on la voit si peu sur nos scènes

Andrew Schroeder a assuré dans ce rôle écrasant ! Juste de temps à autre, l’entendait-on moins dans le grave profond (la partitition semble drôlement grave d’ailleurs quelquefois pour un baryton). Quelques petites erreurs de textes (répétitions de mots à la place d’autres). L’alto canadienne, Marie-Nicole Lemieux était tout bonnement superbe dans son rôle de « tueuse » d’hommes. Les autres chanteurs ne déméritaient pas et avaient en particulier un bon français.

Les choeurs de l’Opera de la Monnaie étaient de grande qualité. Le jeune chef Leo Hossain a sublimé l’Orchestre de la Monnaie. Je me rejouis déjà de l’entendre diriger à l’Opéra Comique les Pêcheurs de perles.

Des photos de la représentation sont disponibles à ce lien

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Opera de Lille

Ouverture de l'Opera de Lille : un rake's progress Lillement menée :)

Opera de Lille

Opera de Lille

Première de The Rake’s Progress de Stravinsky à l’Opera de Lille – 9 octobre 2011
Direction musicale : Arie Van Beek
Mise en scène : David Lescot
Assistante à la mise en scène : Sophie Picon
Scénographie : Alwyne de Dardel
Costumes : Sylvette Dequest
Lumières : Joël Hourbeight
Chef de chant : Emmanuel OlivierAvec :

Alek Shrader : Tom Rakewell
Christiane Karg : Anne Trulove
Alan Ewing : Trulove
Christopher Purves : Nick Shadow
Frances Mc Cafferty : Mother Goose
Anne Mason : Baba-Turk
Alasdair Elliott : Sellem

Orchestre de Picardie
Choeur de l’Opéra de Lille – Direction Yves Parmentier

Très belle entrée de saison pour l’Opéra de Lille !

Pour sa première mise en scène d’opéra, David Lescot, homme de théâtre, est plutôt prometteur. Le choix a été fait de transposer l’intrigue à une époque proche de la nôtre. Sa mise en scène est assez épurée voire dépouillée mais elle est efficace permettant à quelqu’un peu, familier de l’œuvre, de suivre parfaitement l’action et d’en saisir les subtilités.

On saisit aisément les saisons qui se succèdent grâce à une utilisation métaphorique de couleurs dominantes (l’opéra se déroule en un an et un jour et commence au printemps). Un bleu printanier accueille les deux amoureux Tom et Anne, puis flamboie le rouge du bordel et de l’été. L’automne est suggéré par une dominante orangée et l’imperméable porté par Anne. Viennent enfin le gris de l’hiver.

Les appartements londoniens du débauché sont de simples structures métalliques à travers lesquelles se détache le skyline londonien. Ces structures se rempliront de pans de murs à l’effigie de Baba puis d’objets hétéroclites (un pingouin, un brochet géant, des bustes, des tableaux, etc…), très belle illustration de l’union avec Baba et son arrivée imposante sinon assommante chez son jeune mari.

Autre point fort de cette mise en scène de David Lescot, les fils conducteurs. J’en ai repéré deux principaux, le drap et la roue de vélo

Le drap est un objet que l’on retrouve à tous les actes. C’est en jouant avec des draps que l’on découvre les deux tourtereaux Anne Trulove et Tom Rakewell. Ce drap permettra à Nick Shadeau d’émerger comme par magie sur scène à l’acte I (effet très réussi). Des draps également, on verra sortir deux puis une troisième prostituées. Les draps sont aussi utilisés pour la scène de mise aux enchères (scène 1 de l’acte III) et permettront de faire oublier Baba la turque, réduite à l’état de meuble après que Tom, excédé par sa chatterie, lui a écrasé un tableau sur la tête. Enfin, c’est un large morceau de tissu, sale et troué, qui couvrira le pauvre Rakewell devenu fou et qui se prend pour Adonis à la dernière scène de l’acte III. Le blanc n’est alors plus là pour suggérer la pureté mais la folie de l’asile de fou de Bedlam

Le vélo est également à l’honneur (je n’ose pas imaginer un lien entre la sortie tout récente du vélo en libre service dans la métropole lilloise, même si je trouve que ce serait bien vu 🙂 Quoi qu’il en soit, ces deux roues, en plus d’aider à fluidifier les déplacements des personnages nous offrent aussi un clin d’oeil au temps qui passe et aux saisons qui rebouclent sur elles-mêmes. On les retrouve à tous les actes sous des variantes diverses : Tom, le paresseux, s’imagine conduire une rutilante moto alors qu’il n’est que sur un simple vélo (scène I acte I). Si tout était aussi facilement métamorphosable…Dans la scène du bordel (scène 2 acte I), une méridienne rouge tractée par un vélo sert de couche à Goose Mother et sera le lit dans laquelle Tom viendra se dépuceler. Plus tard, apparaîtra et disparaitra Baba la turque sur un pousse-pousse.

Par ailleurs, quelques procédés habiles sont à mentionner dans cette mise en scène, par exemple des mises en abîme. L’acte I scène 1 nous offre une lumière bleu printanière avec au coin supérieur l’ombre d’un feuillage. C’est ce même paysage que l’on retrouve dans un tableau peint sur lequel Tom se lamente du temps des amours avec Anne (scène I de l’acte II).

Le troisième vœu (le bonheur de l’Humanité), acte II scène 3, est suggéré par l’apparition d’une maquette d’usine dont les cheminées fument quand on introduit une pierre par la fente de l’un de ses murs. Le pain fabriqué apparaît sous la forme d’une tranche de pain de mie grillée que Tom attrape en plein vol !

L’Acte 1 scène 2 (la scène du bordel et du dépucelage de Tom) est particulièrement réussie ! Dominante de rouge velours et froufrous pour symboliser la passion mais aussi l’été qu’on devine. Sur deux niveaux : les personnages principaux (et quelques prostituées) en bas et en haut en arrière plan le gros de la troupe des filles de joies toutes habillées à l’identique et des clients tous vêtus d’une chemise blanche, de bretelles noires, de melons et brandissant phalliquement leur canne (clin d’œil aux mauvais garçons d’Orange mécanique de Kubrick). Ces cannes permettront grâce à des jeux d’ombres lascives d’évoquer les ébats sexuels de ces derniers avec les filles de joie.

Mentionnons pour finir l’épilogue où émerge du fond de la scène une structure en forme de loges ouverte sur le public à partir desquelles les personnages viendront dire leur moral tandis que des fous continuent de passer cà-et-là

Passons aux musiciens maintenant. Les interprètes des trois rôles principaux étaient très bons, tant sur le plan vocal que théâtral.

Le jeune ténor américain Alek Shrader, au physique de top-model, m’a totalement convaincu en jeune rêveur, tantôt malléable et naïf, tantôt attendrissant lorsqu’il est assailli de remords, au souvenir récurrent de l’amour pur qu’il a bafoué. Ses graves étaient puissants et timbrés, ses aigus faciles en voix pleine comme en mixte. Sa technique lui permet de colorer ses personnages (Tom et Adonis) et leurs différents états de façon extrêmement fine. Sa cavatine « Love, too frequently betrayed » était magistralement interprétée tout comme son grand air de l’acte 2 scène I de « Vary the Song o London ». A la dernière scène de l’acte III, son arioso « prepare yourself » était servi par un mixte fort agréable.

Christiane Karg chanta admirablement le rôle d’Anne Trulove. Ayant le physique du rôle, elle aussi, la jeune soprano était quelquefois couverte dans le bas médium au début de l’acte I mais très vite ses aigus ciselés (ses contre-uts étaient impeccables) nous emportent. Son air de la scène III de l’acte I Quietly Night était très bien mais elle brilla particulièrement dans la cabalette où ses aigus en disaient long sur l’agilité de cette voix talentueuse. La berceuse de l’acte III scène 3 servie par des pianos particulièrement réussis donnait des frissons. Le duo final de l’asile entre Tom/Adonis et Anne restera l’un des plus beaux moments de cette production lilloise.

Christopher Purves interpréta diaboliquement bien 🙂 le rôle de Nick Shadow. Le baryton britannique était excellent : doté d’une voix puissante et d’un jeu d’acteur étonnant, il vient compléter le trio de tête de cette belle distribution ! Servile, puis calculateur et machiavélique à souhait. Son air de l’acte II scène I « in youth the panting slave pursue » était pernicieux à souhait. Une présence remarquable pour ce chanteur qui réussissait parfaitement sa transformation de notaire obséquieux, à celui de mentor, d’ami pour enfin révéler sa diabolique identité. Son air de rage (fin de l’acte III) « I burn I burn» était impressionnant de puissance et de violence. Son duo avec Tom à la scène 1 l’acte II m’a laissé un très beau souvenir : les deux comparses chantant non seulement parfaitement ensemble mais mimant les gestes de l’un et l’autre dans un même délire.

Les autres voix étaient aussi intéressantes. Baba la Turque (Anne Mason) souffrait un peu dans les graves mais fut convaincante et à l’aise dans son air de colère « Sold, Annoyed » (fin de la scène 1 de l’acte III). Mentionnons aussi Alasdair Elliott en commisseur-priseur Sellem qui avait une voix bien placée et sonore pour ce rôle pas facile du tout. Frances Mc Cafferty en Mother Goose aussi était très drôle en sorte de Madame Pepperpot perverse. La figure paternel de Trulove était honorablement servi par Alan Ewing.

Les chœurs et l’orchestre (mention au claveciniste et aux cuivres), dirigés admirablement par Arie Van Beek, ont été chaudement applaudis. Les choristes sont certes bien moins nombreux que dans un chœur d’opéra comme celui de Bastille, mais la qualité y est indiscutablement. Dans un effectif plus restreint le jeu des choristes est encore plus important et les choeurs de l’Opéra de Lille servit lui aussi cette bien belle production de l’Opéra de Lille.

Très belle entrée de saison pour l’Opéra de Lille ! Mais je crois que je l’ai déjà dit 🙂

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Les Huguenots de Meyeerber à la Monnaie : Acte II

Première des Huguenots de Meyerbeer à la Monnaie

Les Huguenots de Meyerbeer sont un opéra en cinq actes sur un livret d’Eugène Scribe & Émile Deschamps. Il fut créé à la Salle Le Peletier à Paris, le 29 février 1836

Distribution de la nouvelle production de la Monnaie

Direction musicale ¦ Marc Minkowski
Mise en scène ¦ Olivier Py
Décors ¦ Pierre-André Weitz
Costumes ¦ Pierre-André Weitz
Éclairages ¦ Bertrand Killy
Direction des chœurs ¦ Martino Faggiani

Marguerite de Valois ¦ Marlis Petersen
Valentine ¦ Mireille Delunsch
Urbain ¦ Yulia Lezhneva
Raoul de Nangis ¦ Eric Cutler
Comte de Saint-Bris ¦ Philippe Rouillon
Comte de Nevers ¦ Jean-François Lapointe
De Retz ¦ Arnaud Rouillon
Marcel ¦ Jérôme Varnier
Cossé ¦ Xavier Rouillon
Tavannes ¦ Avi Klemberg
Thoré ¦ Marc Labonnette
Méru ¦ Frédéric Caton
Dame d honneur ¦ Camille Merckx
Une coryphée ¦ Tineke Van Ingelgem
Deux bohémiennes ¦ Camille Merckx
Tineke Van Ingelgem
Maurevert ¦ Ronan Collett
Bois-Rosé ¦ Olivier Dumait
Un Valet ¦ Marc Coulon
Un archer du guet ¦ Jacques Does
Etudiant catholique ¦ Alain-Pierre Wingelinckx
Un moine ¦ Olivier Dumait, Ronan Collett, Charles Dekeyser
Deux jeunes filles catholiques (couple 1) ¦ Marta Beretta, Françoise Renson
Deux jeunes filles catholiques (couple 2) ¦ Adrienne Visser, Birgitte Bønding
Trois Coryphées ¦ Bernard Giovani, Alain-Pierre Wingelinckx, Pascal Macou
Orchestre ¦ Orchestre symphonique et chœurs de la Monnaie

A l’affiche d’une bien belle maison, riche de fastueuses dorures (la Monnaie fait partie des plus belles salles de théâtre européenne avec son magnifique théâtre à l’italienne intégrant certaines caractéristiques françaises) et d’Histoire (c’est lors d’une représentation de la Muette de Portici ici-même qu’est née la Révolution belge), cette nouvelle production des Huguenots de Meyerbeer s’annonçait très prometteuse ne serait-ce parce que les opéras de Meyerbeer sont devenus cosa rara alors qu’il était le compositeur le plus joué au monde au XIXème siècle ! Certes, mais quoi de plus naturel aussi que d’espérer que ce soit dans ce lieu alliant faste et Histoire, à l’instar du style meyerbeerien, que sonne justement le renouveau de ce compositeur mis au purgatoire de la critique bien pensante et du bon goût obligé !

La soirée du 11 juin 2011 fera date, comme le fit la toujours production de Robert le Diable à l’Opéra Garnier en 1985, dont des centaines de mélomanes espèrent toujours une reprise. Cette grande fresque historique, représentation du fanatisme religieux de la France en ce mois d’août 1572 …dans lequel s’inscrivent les amours malentendues puis contrariées du protestant Raoul de Nangis et de la catholique Valentine de Saint-Bris, fut en effet admirablement servie par l’équipe mobilisée ! Le défi était pourtant de taille pour ce type de répertoire jugé désuet, vulgaire, trop enferré dans une époque révolue et soit disant manque d’esthétique, et qui pour lequel, par-dessus le marché, nous ne possédons plus les voix pour le soutenir sinon le secourir !

La direction d’orchestre, les voix, la mise en scène tout a globalement fonctionné pour faire sortir de l’oubli « Les Huguenots », une œuvre magnifique, engagée, riche d’un message profond de tolérance (Meyerbeer juif allemand qui le composa en 1836 ne pouvait pas ignorer le développement de certaines mesures anti-sémites par le pouvoir royal alors naguère rétabli).

Commençons par rappeler que nous avons eu droit à la version scénique vraisemblablement la plus longue des 100 dernières années. La prière de Valentine, le second air du page Urbain (écrit pour Londres), tout le début de l’acte V a été donné, permettant de rendre à la fois à certains personnages leur pleine palette psychologique et sa pleine dimension politique à cet opéra. 4h45 de spectacle au total donc, avec à peine 40 minutes d’entracte.

La mise en scène est signée Olivier PY. On reconnaît tout de suite sa pâte caractéristique et celle de son double ou triple complice (Pierre-André WEITZ ;)! Structures et aplats métalliques, mobilité des décors, éblouissements, contrastes de lumières jusqu’à la quasi pénombre, sont là pour nous accompagner dans ce voyage, et nous préparer comme il aime souvent à le répéter à l’autre voyage, le voyage intérieur déclenché par l’œuvre d’art.

On commence avec une scène sombre avec des projecteurs plein feu dirigés sur le public comme pour lui annoncer qu’il ne doit pas se contenter de son statut de spectateur, de consommateur culturel. L’œuvre culturelle doit renverser le rapport objet-sujet en nous incorporant dans l’œuvre elle-même et nous faire penser et agir en nous-même.Cette lumière-là dérange parce qu’on la voudrait justement sur scène ! Mais la seule lumière qui compte après tout n’est-elle pas celle de l’esprit de l’homme qui s’élève par son intelligence à la sagesse, seule rempart à cette intolérance que va nous peindre l’œuvre de Meyerbeer et la lecture d’Olivier PY…? Iil est certain que nous serons bien loin dans cette production d’un réalisme banal et d’un ‘ésotérisme’ facile.

Les Huguenots de Meyeerber à la Monnaie : ouverture

Les Huguenots de Meyeerber à la Monnaie : ouverture

Sur le plan global, la mise en scène ne transpose pas à notre époque ou à l’époque des huguenots. Non Olivier PY fait les époques se croiser comme le fera le fer (tout métaphorique) des deux communautés religieuses. Costumes ou élément de costumes de la Renaissance du XVIème s. (fraises, robes à vertugadins, plastrons d’armure, etc..) côtoient chapeaux hauts de forme et redingotes caractéristiques de la première moitié du XIXème s ainsi que les complets trois pièces et cravates noirs de notre époque. On peut rajouter une quatrième ère, en effet on observera également à la toute fin une sorte d’humanoïde doré qui rappelle C3PO (Guerre des étoiles).

Les esprits pressés y verront comme dans l’œuvre de Meyerbeer un éclectisme de mauvais aloi, alors que la démarche est très astucieuse : cet habile glissement des costumes est bien là pour rappeler que l’intolérance est pervasive, rampe partout et traverse les époques.

La Renaissance représentée par les costumes si caractéristiques évoqués ci-dessus renvoie à l’année de l’action 1572 ; les redingotes font bien évidemment un clin d’œil à l’époque à laquelle l’opéra est composé. La monarchie de Juillet, comme avant elle, la Restauration aimait à faire revivre la Grande époque des Valois avec une espèce de regard bienveillant et bien entendu instrumentalisé.

Notre époque est aussi omniprésente : le smoking et la cravate renvoient au hic et nunc qui nous concerne, celui du spectateur pour le ramener encore une fois à l’œuvre, l’intégrer à l’œuvre, le sortir de son rapport de simple contemplateur d’un objet culturel. La veste d’aujourd’hui est bien là pour rappeler au public qui vit l’œuvre qu’il est lui aussi pris dedans, que c’est bien à sa conscience, à son intelligence que l’on s’adresse. Enfin, je vois dans l’espèce d’androïde, une évocation des générations futures qui immanquablement seront aussi concernées par la haine de l’autre et l’intolérance.

Attachons-nous maintenant à développer quelques moments clés de ce spectacle et leur poésie.

L’acte I qui se passe dans le château du Comte de Nevers est un acte essentiellement masculin troublé par la seule présence physique de Valentine qui n’y chante pas et de la voix féminine d’une mezzo interprétant le rôle travesti du Page Urbain. Pour illustrer ce caractère masculin, Olivier PY représente une bacchanale avec des hommes vêtus de smoking, très alcoolisés, qui tombent et chemises et pantalons. L’un des catholiques est d’ailleurs mis à nu et déguisé en joyeux Bacchus. La débauche est générale ; l’alcool coule à flots et ça et là se détachent quelques attitudes homosexuelles, des groupes de jeunes catholiques qui n’hésitent pas à se caresser au lointain. Cette orgie tranche avec l’austérité de Marcel et la retenue et la gêne de Raoul, tous les deux protestants.

L’intermède musical ouvrant l’acte II fut très beau. On y voit un homme-cerf danser (Actéon) et s’unir à une femme-biche (Diane), évocateur des forêts giboyeuses de la Touraine et annonciateur de l’érotisme affiché de l’acte II. Cet acte essentiellement féminin était splendide. L’entrée de Marguerite de Valois sous une lune tachetée de gris est de toute beauté. Contrairement au livret de Scribe, la scène se passe de nuit. L’albe de Chenonceau a fait place à un noir laqué. Les arches caractéristiques du château et le bassin d’eau suffisent à rappeler le lieu de l’action. Ce n’est donc pas la chaleur agressive du soleil que la cour et Marguerite de Valois veulent fuir mais peut-être au contraire les vapeurs de pulsions intérieures…L’effet est très intéressant puisque Marguerite de Valois, si elle veut marier Raoul à Valentine, n’est absolument pas insensible aux charmes du huguenot (cf. le duo avec Raoul) et doit lutter contre ses pulsions de ‘femme libérée’. Dans une pénombre mordoré, les glissements d’eau et les danses de trois courtisanes, nues, transformées en naïades participent à l’érotisme quasi orientaliste à cette première partie de l’acte II. On comprend que le page urbain, s’éveillant tel un Cherubino à l’appétit du corps, rechigne à quitter les lieux.

Les Huguenots de Meyeerber à la Monnaie : Acte II

Les Huguenots de Meyeerber à la Monnaie : Acte II

Dans l’acte III qui annonce l’affrontement du dernier acte, les deux camps sont nettement reconnaissables : noir rigoureux souvent intégral pour les protestants coiffés de chapeaux hauts de forme, plastrons dorés et clinquants pour les catholiques.

A l’acte IV, la scène de la « Bénédiction des armes » est particulièrement réussie grâce notamment à la transformation en arme la religion fanatisée : plutôt que d’utiliser de bruyantes épées, dagues ou poignards, qui seront utilisés pour le massacre, c’est la croix elle-même qui retournée joue le rôle de l’épée. Illustration ô combien réussi du fanatisme religieux qui aboutit à la négation même du message religieux. Bien plus efficace et évocateur que n’importe quelle lame ou fleuret !

L’autre partie de l’acte IV, le grand duo entre Valentine et Raoul, est belle. Sur un plateau dégagé au lointain, l’attention se concentre sur ces deux destins (confetti ou grains de sable dans l’œil de l’Histoire ?). Toute l’action se passe et s’articule autour de tables accolées sur leur largeur pour former comme un chemin où les deux amants doivent se quitter.

Dans le finale de l’acte V : les huguenots rassemblés dans le temple sont vêtus comme vous et moi, avec des petites valises qui ne sont pas sans rappeler les groupes de juifs qu’on massait au pied des gares pour les envoyer en camps. Le massacre est métaphorique. C’est toujours la ‘croix-arme’ qui, portée par la main menaçante du robot doré mentionné auparavant (à la C3PO), vient s’écraser sur le dessus d’une table métallique renversée sur un de ses côtés. Ainsi utilisée, la table devient un gong assourdissant dont la violence provoquée par les coups de croix, fait s’écrouler les corps. Saisissant !

Les Huguenots de Meyeerber à la Monnaie : Acte V

Les Huguenots de Meyeerber à la Monnaie : Acte V

J’ai beaucoup développé la mise en scène, mais venons-en aux voix.Il faut une « grande ourse » vocale pour les Huguenots, pas moins de 7 voix excellentes pour les principaux rôles ! Et elles y étaient.

Au début était le verbe, n’est-ce pas… La diction, dans ce style si souvent décrié comme pompeux et faste, est un pré-requis. Avec une bonne part d’artistes francophones (belges, québécois et français), avec des chanteurs étrangers (suédois et américains) qui maitrisent il faut le reconnaître notre langue, le premier ingrédient est réuni.

Non seulement tous avaient un très bon niveau de français, mais en sus ils étaient bons dans la vocalité et dans le jeu d’acteurs. La direction d’acteurs d’Olivier PY a surement également contribué à ce que ces chanteurs soient aussi comédiens et nous donnent un jeu crédible touchant quelquefois au sublime (Mireille Delunsch ou Marlis Petersen par exemple).

Commençons par le page Urbain, interprété par la mezzo-soprano russe Yulia Lezhneva, puisque c’est la première voix féminine que l’on entend dans l’opéra : vocalisation, voix élastique dans le premier air ‘’Noble seigneur Salut’’. On se réjouit que cette production lui permette de chanter le deuxième air habituellement coupé à l’acte II (« le chevalier n’y voit goutte »). Elle a été chaudement applaudie, comme les deux autres voix féminine principales. Somptueuses en effet furent Marlis Petersen et Mireille Delunsh.

Marlis Petersen (Marguerite de Valois) a absolument maîtrisé le redoutable Air de « ô beau pays de la Touraine ». La voix, sans doute encore un peu froide au tout début, manquait d’un peu d’assurance dans le tout premier aigu, mais très vite la voix devient ductile. Son jeu est érotique et vient servir son interprétation ! On voudrait assurément être plus proche encore pour ajouter au plaisir procuré par la voix le bonheur de discerner la splendeur des courbes de la chair sous le tissu diaphane de sa robe blanche. J’ai également beaucoup aimé sa présence à la fin de l’acte où elle fait prêter serment d’amitié entre les Comte de Saint-Bris et de Nevers et Raoul de Nangis.

Mireille Delunsh (Valentine) était très en forme ! Ici ou là au début on pouvait discerner quelques sont graves un peu gutturaux, mais très vite la voix s’installe. Une puissance, des aigus impeccables, des pianos assumés plein de l’émotion et de l’âme de ce personnage tourmenté !! Et quel jeu, j’ai usé la batterie de mon appareil photos à essayer de zoomer pour prendre le maximum de son jeu d’acteur. Un jeu époustouflant. Un visage, des regards, des postures qui s’offrent à nous en même temps que la beauté des sons (‘je suis seule chez moi de l’acte IV et son grand duo avec Raoul étaient bouleversant. Bravo vraiment pour cette Valentine !

Eric Cutler maintenant notre Raoul de Nangis. Tout d’abord, il possède un français remarquable. Juste quelques « e », sans vraiment comprendre pourquoi, ci et là se délavent en ‘é’ alors que d’autres restent d’une grande pureté. Une diction noble et sans le laisser-aller de la prononciation qui en dit long sur la volonté de donner le meilleur de lui-même. Volume, aigus pleins, suraigus en voix mixte admirables. Sa romance accompagnée « plus blanche que la blanche hermine » à la viole d’amour était très belle. On lui reprochera juste de donner de temps à autre un peu l’air de souffrir dans son émission vocale, ce qui peut quelque fois nuire à son jeu d’acteur. Mais il avait la fougue crédible 🙂 dans le duo avec Marguerite de Valois à l’acte II. En même temps, il n’avait pas d’excuses à ne l’être pas tant il était aidé par l’érotisme de Marlis Petersen. Mentionnons en passant que M. le ténor est tatoué :).Le grand duo magnifique entre Valentine et Raoul de l’acte IV (o ciel !où courez-vous ?) était magnifique. On le sentait déchiré par le choix cornélien qu’il devait faire devant la bouleversante Valentine de Mireille Delunsh. Une très belle prestation pour ce Raoul !

Les voix graves masculines ne sont pas en reste !

Le Marcel de Jerôme Varnier était admirable. Enfin ( ?) une basse chantante française pour Marcel ! Et quelle basse chantante ! Une diction parfaite. Une puissance mais aussi un velours dans le registre grave ! On lui reprochera juste d’avoir non pas savonné mais d’avoir chanté deux fois la même phrase dans les deux couplets pourtant différents de sa chanson huguenote antipapiste du premier acte (‘pour les couvents, c’est fini’). Il a campé un Marcel, moralisateur mais sans jamais toutefois aller dans le grotesque (couplets luthériens).

Le comte de Saint-Bris a été servi par une autre grande voix française, celle de Philippe Rouillon. Rompu à ce rôle qu’il connaît bien, il était vocalement très bon. A noter sa prestation excellente à l’acte III et de l’acte IV, (scène de la bénédiction des poignards) où il s’avérait particulièrement crédible dans son rôle de leader calculateur et vindicatif.

Le comte de Nevers, Jean-François Lapointe, a vraiment la classe. Une diction impeccable pour ce baryton québécois. On sent bien sa connaissance et son amour pour le grand opéra français. Il parvient à faire passer dans le personnage du Comte de Nevers le grand souffle lyrique sur fond d’histoire de France qui anime l’opéra.

Le pari est gagné, la distribution réunissait les voix puissantes et dramatiques, mais en même temps suffisamment souples pour les nuances avec une diction du français très bonne ! Quand on pense que c’est pour tous ces artistes, une prise de rôle (à part Philippe Rouillon), ils méritent nôtre plus grand respect !!

Si la grande ourse possèdent 7 étoiles principales, les autres étoilent de doivent pas moins briller pour que la représentation soit excellente. Ce fut le cas des autres solistes d’Arnaud Rouillon (De Retz) et de Xavier Rouillon (Cossé), Avi Klemberg (Tavannes) et tous les autres. Et bien entendu pour un opéra de ce type, c’eut été un bien malheureux que les chœurs fussent boiteux. Mais il n’en fut rien, l’Opéra Royal de la Monnaie dispose d’un orchestre et d’un chœur admirable. Des pupitres masculins et féminins homogènes, capables de prodiguer la puissance sonore qui doit éblouir l’auditoire dans le grand opéra. Les chœurs exultaient : tantôt doux (chœur féminin des baigneuses et tantôt puissant, tantôt violent (chœur de l’affrontement de l’acte III (pre aux-clercs); les déplacements sur la scène pourtant, pas si grande de la Monnaie, ne les gênaient pas. Le passage a cappella, probablement le plus long de l’histoire de l’Opera, est passé sans la moindre difficulté.

La direction de Minkowski est parvenue à donner du relief, une grandiloquence mais aussi une intimité assumée en dosant ses effets sur la distance. Il parvient avec un orchestre qu’il connaît maintenant bien (il a déjà dirigé deux opéras à la Monnaie, Don Quichotte de Massenet, La Cenerentola de Rossini) à trouver la puissance et par contraste la légèreté qui permet de mettre en valeur les chanteurs et de les accompagner dans ce terrible marathon vocale et émotif qu’est les Huguenots.

Et la magie fut donc au rendez-vous grâce à une distribution particulièrement efficace, une mise en scène excellente d’Olivier PY et un orchestre et un choeur exemplaire sous la baguette de Marc Minkowski. Bravo ! Que j’espère que cette création de la Monnaie sonnera la résurrection assumée du « Grand Opera » et rende à Meyerbeer toute la place que le XIXème lui avait donnée. Le public d’outre-Quievrain était emballé et il est dur pourtant aux dires de certains des mes voisins belges qui partagèrent cette soirée lyrique avec moi.

Alléchant, isn’t it ?!

Quelques photos consultables à ce lien

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