Pour alimenter le buzz et susciter l’attente autour de ses google glasses, la firme de Moutain view (non sans blague, ils l’ont fait exprès…) a bien évidemment sollicité ses fans il y a quelques semaines.
fihadglass est à la fois le hashtag officiel et nom de la campagne éponyme de marketing orchestrée par Google dans plusieurs réseaux sociaux (google+ mais aussi Twitter). Son objectif avoué est de sélectionner les heureux élus qui auront le privilège de se procurer les premières paires de Google Glasses disponibles pour le grand public. Bon certes ce n’est pas un cadeau, car les heureux gagnants auront juste le droit de mettre 1500 dollars états-uniens pour le précieux objet. Mais c’est le prix à payer pour être un early-adopter…
Mais ifihadglass, plus concrètement, c’est surtout encore une fois la preuve que les grandes compagnies, au premier rang desquelles les géants du net croient au ‘crowdsourcing’.
Le crowdsourcing (que l’on peut approximer en français par »externalisation ») est une méthode consistant à mobiliser des ressources intellectuelles externes à l’entreprise pour leur faire réaliser certaines actions traditionnellement effectuées dans le strict cadre privé de l’entreprise. Les clients ou les fans d’une marque ou autres candidats à l’embauche sont alors particulièrement sollicités pour apporter leurs bonnes idées, leur créativité ou leur savoir-faire. Ce concept est une généralisation à puissance « exponentielle factorielle 1 milliard » de la bonne vieille boîte à idées qu’on pouvait trouver dans certaines sociétés à la disposition de leurs clients. Indice que le crowdsourcing s’industrialise au travers des réseaux sociaux : certains sites communautaires misent même uniquement sur lui : des sociétés comme Quirky permettent aux personnes ayant des idées de les faire connaître dans l’espoir d’être aidé dans la réalisation de leur projet. Si l’idée déposée sur le site fait l’unanimité, Quirky mobilisera des ressources design, marketing, vente ou encore de communication pour concrétiser le projet. Le géant de la distribution Auchan collabore déjà avec Quirky.
Revenons à Google, en rassemblant toutes ces idées émanant des bouillants cerveaux de milliers de participants, la firme pourra imaginer des usages auxquels elle n’aura pas pensé ou décelé dans toutes les études marketing fussent-elles excellentes.
Certes je suis consultant en digital. Ca c’était pour le côté jardin. Mais je ne perds pas de vue le côté cour : je suis fan d’opéra.
Je me suis donc laissé porter au jeu de ce que pourrait m’apporter une lunette si j’ai la chance d’être parmi les happyfews à mettre 1500 pièces pour exhiber le précieux avant tout le monde. J’ai donc succombé à la douce tentation du produit donc je rêve secrètement pour ma grande passion de l’opéra, d’un coup de lunettes magiques.
Si j’avais des lunettes magiques, primo je les porterais et utiliserais leur surtitrage intégré. Basta les téléscripteurs quelquefois mal situés (ca évite les torticolis ou la vue inoubliable sur le mont chauve des spectateurs du rang précédent) et surtout jamais dans le champ de vision direct. Avec le système de surimpression des google glasses, le surtitrage s’afficherait en temps réel et directement dans mon champ de vision : je n’aurai pas à arbitrer entre les mots et l’action si je ne connais pas encore l’œuvre par cœur (pour des langues un peu difficile comme l’allemand, le tchèque, le russe ou le latin)
Et même si je connais par cœur une œuvre, je pourrais quand même profiter des fonctionnalités de mon binocle adoré), je choisirais d’afficher la partition et non plus le surtitrage qui ne m’apporterait rien. La partition défilerait à la manière de la bande texte d’un karaoke, moi qui suis loin d’avoir l’oreille absolue, je pourrais ainsi enrichir mon expérience de mélomane.
A la demande, je pourrais aussi obtenir des renseignements sur les interprètes du rôle, savoir combien de fois et où l’artiste a chanté le rôle, mais sans parler of course, juste en faisant un geste et en m’appuyant sur les reconnaissances faciale et/ou vocale des lunettes lui permettant d’identifier (une sorte de Shazam ou plutôt de gracenote des chanteurs lyriques en quelque sorte).
Côté réseaux sociaux, je pourrais aussi voter en directement après un aria. Et puis, je voudrais bien enregistrer mon rythme cardiaque pendant certains airs et faire des feeling maps histoire d’établir un top 10 de mes plus grands orgasmes musicaux de l’année. Je pourrais partager avec mes amis fans d’opéras sur mon mur ou tout autre interface personnelle ouverte sur le monde. .
Enfin, pour moi qui suis un afficionado des photographies dérobées car interdites dans quelques grandes salles dont je tairai le nom (je ne voudrais pas finir Hausverbot… oups je crois que j’en ai déjà dit trop :), je pourrais m’en servir pour prendre des photos ou faire des enregistrements de mes opéras ou chanteurs préférés en toute discrétion.
Aïe aïe les droits d’auteurs…? Les salles de spectacle vont-elles interdire l’entrée de leur velour lyrique aux détenteurs de google glass, d’iwatch ou autres vestes connectées, truffées de micros capables d’envoyer directement leurs captations dans le cloud ? On est bien loin du gros enregistreur dissimulé dans un sacoche de facteur (si ça ne vous parle pas, je ne peux que vous inviter à découvrir Diva, chef de d’œuvre de Jean-Jacques Beineix). On sourit déjà quand on voit comment les brouilleurs GSM ont un mal fou à équiper les salles d’arts vivants ou comment les placeurs sont débordés dans leur chasse aux frondeurs qui prennent des photos avec leurs smartphones.
Après la musique enregistrée, c’est toute l’expérience de l’art vivant que le digital va bouleverser. Comment pourra-t-on empêcher les auditeurs, les spectateurs de vouloir s’approprier ce qu’ils vont voir ou entendre si les outils sont aussi faciles d’utilisation et discrets ? Le combat semble illusoire. En réalité, c’est peut-être plutôt une opportunité incroyable pour le spectacle vivant. Car le digital pourrait lui donner encore plus de valeur au détriment de la musique enregistrée, complétement banalisée et qui a perdu une grande partie de sa valeur perçue (…et marchande) depuis plus d’une décennie. Et puis nous avons un besoin quasi vital de partager ce qui nous touche, qu’il est frustrant de ne pas pouvoir glaner quelques instants de bonheur et les offrir à sa communauté.Le direct est déjà magique. Enrichi, il risque de s’imposer comme une expérience incontournable et de plus en plus demandée…
Ouh ! Que ces lunettes (nous) portent loin !
#ifihadglass ou la chance du spectacle vivant ?…? de Ramzi SAIDANI est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution 3.0 France.