En novembre 2012, Le Brussels Philharmonic avait fait parler de lui dans le landerneau musical et bien au-delà en affirmant vouloir devenir le premier orchestre au monde à abandonner les partitions en papier pour passer aux partitions numériques sur tablette. Cette annonce de numérisation des partitions avait créé un buzz certain. Il faut voir la mise en scène de l’événement où les instrumentistes lancent dans un mouvement commun des partitions papiers avant d’exhiber les tablettes 10.1 utilisés pour l’occasion.
En plus d’une bonne opération de communication pour Samsung et la société de logiciel de partition numérique Neoscore partenaire de cette représentation assez médiatisée, ce fut certainement un gros coup de pub pour une formation qui joue depuis longtemps sur la corde du digital (l’Orchestre met par exemple à la disposition du public des sonneries de musique classique gratuite pour les téléphones portables)
Les avantages avancés sont les économies de papier, de temps, d’adhésif. Mais ce que je retiens surtout c’est la possibilité de faire évoluer les méthodes de travail de ses musiciens. La tablette reconnait la musique et gère la tourne de page elle-même (je connais plus d’un pianiste accompagnateur qui serait enchanté à cette idée). Un musicien peut également annoter, surligner directement avec un stylet la partition, partager ses modifications avec les autres instrumentistes, personnaliser la mise en page. L’idée de stocker un millier de partition sur 16 Go dans 600 grammes de concentré technologique est également enthousiasmante.
En effet, la musique classique a pu apparaître en avance sur le temps digital. Rappelons les travaux de l’IRCAM qui ont permis de reconstituer ce que pouvait être la voix de castrat en s’appuyant sur la voix de Derek Lee Ragin et de la soprano polonaise Ewa Malas-Godlewska dans le magnifique film Farinelli de Gérard Corbiaud. Pour autant, le monde de la musique classique reste encore une terre de tradition, de conventions et de codes quelquefois très « rigides » ; il devra s’adapter à son époque et vivre plus avant sa révolution numérique.
La liseuse numérique ou la tablette qui en en un assez bon substitut est un exemple très pragmatique de ce mouvement irrémédiable vers le numérique. Apple laissait également une bonne place à ce cas d’usage de la partition pour piano qui défile dans ses publicités pour iPad. Nombre de partitions sous format pdf se prêtent déjà bien à une utilisation sur une ardoise numérique. Avec l’arrivée de génération entière de musiciens ‘digital native’ qui n’ont connu que les enregistrements numériques en streaming ou le son mp3, nul doute que le mouvement va s’amplifier de l’intérieur.
numérisation des partitions : l’Orchestre Philarmonique de Bruxelles passe à la tablette numérique de Ramzi SAIDANI est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution 3.0 France.
L’expérience idéale, rêvée par le fan d’opéra que je suis (cf. post sur les google glasses) risque de faire un saut (d’octave ou pas) avec des initiatives comme celle d’Orange et de l’Opéra de Rennes. On savait qu’Orange s’intéressait à l’Opéra notamment au travail de la fondation Orange, partenaire notamment du festival d’Aix-en-Provence depuis 1999. Mais on se réjouit également que l’entreprise en partenariat avec Technicolor et l’école d’ingénieurs de l’INSA mette son savoir-faire en matière de R&D au service d’Apollon musagète et des muses !
Orange vient en effet d’annoncer sur son site institutionnel une nouvelle collaboration avec l’opera de l’Opéra de Rennes en vue de proposer une expérience opératique inédite au public rennais. Le 4 juin, les Rennais pourront ainsi savourer sur iPad la célèbre scène du Brindisi (Libiamo, libiamo) de La Traviata de Verdi.
3 mécanismes innovants sont mobilisés pour offrir une expérience opératique enrichie : l’ultra haute définition (ultra HD), la captation à 360° et le son spatialisé.
(i) La captation et le rendu en ultra HD offrent des avancées considérables.
C’est d’abord davantage de définition spatiale : la captation proposera une résolution 4 fois plus riche en pixels que la HD actuelle. Ce qui permettra de voir par exemple avec détail les bulles de champagne explosait dans le verre des chanteurs ou les larmes de Violetta Valery ou d’Alfredo lors du dernier acte (snif, snif…)
Ensuite, le procédé en offrant davantage d’images par seconde (2 à 6 fois plus qu’actuellement) permettra d’avoir une sensation de très grande fluidité des mouvements à l’écran (de 100 à 300 images au lieu des 25 à 50 images par seconde dans les technologies actuelles). Par ailleurs, l’augmentation de quantité d’informations associée à chaque pixel permettra des nuances encore plus fines et une gamme de couleurs bien plus étendue qu’avec la HD d’aujourd’hui.
(ii) La captation à 360° permettra quant à elle, aux chanceux présents, de bénéficier, grâce à des iPad, d’une expérience immersive et multimodale : ils auront l’impression d’être à l’intérieur de l’Opéra. Les visiteurs ainsi pourront manipuler leurs tablettes, modifier leur orientation pour regarder la partie de la scène souhaite avec le son adapté à l’orientation de la tablette dans l’espace. Si le plan du réalisateur sur les solistes ne vous intéresse pas , vous pourrez changer de vue et vous intéresser à la p’tite soprano 2 que vous connaissez au fonds de la scène, côté jardin 🙂
(iii) Enfin, le son spatialisé donnera aux auditeurs la sensation d’être plongés dans un espace sonore tridimensionnel grâce à une écoute au casque.
Avec 642 places, l’Opéra de Rennes est sans conteste l’une des plus petites maisons d’opéra de France. La jauge est en effet faible pour un théâtre d’opéra. Pour comparer, imaginez que l’Opéra de Lille abrite 1140 places, le Staatsoper de Vienne comprend 2300 places (en comptant les fameuses Stehplätze), l’Opéra Bastille offre 2700 places et le Metropolitan Opera à New York peut accueillir 3800 personnes !!
Pour autant en engageant un partenariat digital avec Orange, depuis 2009, la maison prouve qu’on peut être petit mais innovant !! Après la retransmission de Don Giovanni de Mozart (2009), de l’Enlèvement au sérail toujours du génialissime Salzbourgeois (2011), la Traviata de Verdi constitue le troisième temps fort de la…politique soutenue par l’Opéra de Rennes de rendre l’opéra plus accessible, grâce aux technologies les plus avancées dans les domaines du son, de l’image et du digital.
Le digital permet en effet de toucher un public nouveau, plus jeune et de prolonger l’expérience culturelle en dehors des salles….Il n’est pas étonnant de dénombrer plus de 20 maisons d’operas qui disposent de leur application mobile sur l’Android market ….c’est l’objet d’un prochain post 🙂
Pour alimenter le buzz et susciter l’attente autour de ses google glasses, la firme de Moutain view (non sans blague, ils l’ont fait exprès…) a bien évidemment sollicité ses fans il y a quelques semaines.
fihadglass est à la fois le hashtag officiel et nom de la campagne éponyme de marketing orchestrée par Google dans plusieurs réseaux sociaux (google+ mais aussi Twitter). Son objectif avoué est de sélectionner les heureux élus qui auront le privilège de se procurer les premières paires de Google Glasses disponibles pour le grand public. Bon certes ce n’est pas un cadeau, car les heureux gagnants auront juste le droit de mettre 1500 dollars états-uniens pour le précieux objet. Mais c’est le prix à payer pour être un early-adopter…
Mais ifihadglass, plus concrètement, c’est surtout encore une fois la preuve que les grandes compagnies, au premier rang desquelles les géants du net croient au ‘crowdsourcing’.
Le crowdsourcing (que l’on peut approximer en français par »externalisation ») est une méthode consistant à mobiliser des ressources intellectuelles externes à l’entreprise pour leur faire réaliser certaines actions traditionnellement effectuées dans le strict cadre privé de l’entreprise. Les clients ou les fans d’une marque ou autres candidats à l’embauche sont alors particulièrement sollicités pour apporter leurs bonnes idées, leur créativité ou leur savoir-faire. Ce concept est une généralisation à puissance « exponentielle factorielle 1 milliard » de la bonne vieille boîte à idées qu’on pouvait trouver dans certaines sociétés à la disposition de leurs clients. Indice que le crowdsourcing s’industrialise au travers des réseaux sociaux : certains sites communautaires misent même uniquement sur lui : des sociétés comme Quirky permettent aux personnes ayant des idées de les faire connaître dans l’espoir d’être aidé dans la réalisation de leur projet. Si l’idée déposée sur le site fait l’unanimité, Quirky mobilisera des ressources design, marketing, vente ou encore de communication pour concrétiser le projet. Le géant de la distribution Auchan collabore déjà avec Quirky.
Revenons à Google, en rassemblant toutes ces idées émanant des bouillants cerveaux de milliers de participants, la firme pourra imaginer des usages auxquels elle n’aura pas pensé ou décelé dans toutes les études marketing fussent-elles excellentes.
Certes je suis consultant en digital. Ca c’était pour le côté jardin. Mais je ne perds pas de vue le côté cour : je suis fan d’opéra.
Je me suis donc laissé porter au jeu de ce que pourrait m’apporter une lunette si j’ai la chance d’être parmi les happyfews à mettre 1500 pièces pour exhiber le précieux avant tout le monde. J’ai donc succombé à la douce tentation du produit donc je rêve secrètement pour ma grande passion de l’opéra, d’un coup de lunettes magiques.
Si j’avais des lunettes magiques, primo je les porterais et utiliserais leur surtitrage intégré. Basta les téléscripteurs quelquefois mal situés (ca évite les torticolis ou la vue inoubliable sur le mont chauve des spectateurs du rang précédent) et surtout jamais dans le champ de vision direct. Avec le système de surimpression des google glasses, le surtitrage s’afficherait en temps réel et directement dans mon champ de vision : je n’aurai pas à arbitrer entre les mots et l’action si je ne connais pas encore l’œuvre par cœur (pour des langues un peu difficile comme l’allemand, le tchèque, le russe ou le latin)
Et même si je connais par cœur une œuvre, je pourrais quand même profiter des fonctionnalités de mon binocle adoré), je choisirais d’afficher la partition et non plus le surtitrage qui ne m’apporterait rien. La partition défilerait à la manière de la bande texte d’un karaoke, moi qui suis loin d’avoir l’oreille absolue, je pourrais ainsi enrichir mon expérience de mélomane.
A la demande, je pourrais aussi obtenir des renseignements sur les interprètes du rôle, savoir combien de fois et où l’artiste a chanté le rôle, mais sans parler of course, juste en faisant un geste et en m’appuyant sur les reconnaissances faciale et/ou vocale des lunettes lui permettant d’identifier (une sorte de Shazam ou plutôt de gracenote des chanteurs lyriques en quelque sorte).
Côté réseaux sociaux, je pourrais aussi voter en directement après un aria. Et puis, je voudrais bien enregistrer mon rythme cardiaque pendant certains airs et faire des feeling maps histoire d’établir un top 10 de mes plus grands orgasmes musicaux de l’année. Je pourrais partager avec mes amis fans d’opéras sur mon mur ou tout autre interface personnelle ouverte sur le monde. .
Enfin, pour moi qui suis un afficionado des photographies dérobées car interdites dans quelques grandes salles dont je tairai le nom (je ne voudrais pas finir Hausverbot… oups je crois que j’en ai déjà dit trop :), je pourrais m’en servir pour prendre des photos ou faire des enregistrements de mes opéras ou chanteurs préférés en toute discrétion.
Aïe aïe les droits d’auteurs…? Les salles de spectacle vont-elles interdire l’entrée de leur velour lyrique aux détenteurs de google glass, d’iwatch ou autres vestes connectées, truffées de micros capables d’envoyer directement leurs captations dans le cloud ? On est bien loin du gros enregistreur dissimulé dans un sacoche de facteur (si ça ne vous parle pas, je ne peux que vous inviter à découvrir Diva, chef de d’œuvre de Jean-Jacques Beineix). On sourit déjà quand on voit comment les brouilleurs GSM ont un mal fou à équiper les salles d’arts vivants ou comment les placeurs sont débordés dans leur chasse aux frondeurs qui prennent des photos avec leurs smartphones.
Après la musique enregistrée, c’est toute l’expérience de l’art vivant que le digital va bouleverser. Comment pourra-t-on empêcher les auditeurs, les spectateurs de vouloir s’approprier ce qu’ils vont voir ou entendre si les outils sont aussi faciles d’utilisation et discrets ? Le combat semble illusoire. En réalité, c’est peut-être plutôt une opportunité incroyable pour le spectacle vivant. Car le digital pourrait lui donner encore plus de valeur au détriment de la musique enregistrée, complétement banalisée et qui a perdu une grande partie de sa valeur perçue (…et marchande) depuis plus d’une décennie. Et puis nous avons un besoin quasi vital de partager ce qui nous touche, qu’il est frustrant de ne pas pouvoir glaner quelques instants de bonheur et les offrir à sa communauté.Le direct est déjà magique. Enrichi, il risque de s’imposer comme une expérience incontournable et de plus en plus demandée…
Ouh ! Que ces lunettes (nous) portent loin !
#ifihadglass ou la chance du spectacle vivant ?…? de Ramzi SAIDANI est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution 3.0 France.