Anna Bolena au Staatsoper : un souvenir inoubliable !

Anna Bolena : dix heures de queue pour une Stehplatz (place debout à 4 euros) à l’opera de Vienne ! Ca avait intérêt à être exceptionnel surtout que, n’ayant pas la télé, je n’ai pas pu le regarder sur Arte le mardi 05 avril. Et bien entendu ca le fut EXCEPTIONNEL comme souvent au Staatsoper

Evelino Pido, s’imposant dans ce répertoire des trois premières décennies du XIXème siècle, dirigeait un orchestre du Staatsoper naturlich impeccable ! Tous les chanteurs étaient sublimes à l’exception d’Ildebrando d’Arcangelo (Enrico VIII), un peu en déçà du reste de la distribution dans le premier acte (graves pâteux, certaines difficultés à vocaliser). Visiblement un peu fatigué (on se souviendra qu’il avait annoncé annuler pour finalement assurer ces représentations), il sera beaucoup plus à l’aise dans le second acte.

Mais venons-en tout de suite au couple féminin exceptionnel de cette soirée : Elina Garanca et Anna Netrebko ! Je me souviendrai longtemps de l’entrée d’Elina Garanca (Giovanna Seymour). Son premier air était prodigieux : voix impeccable et un port (pas de voix:) d’une classe !! Une beauté solaire face à la ‘Séléné’ d’Anna Bolena (Anna Netrebko), astre d’une nuit qui va bientôt l’engloutir.

Elina_Garanca_Ildebrando_d_Arcangelo
Elina Garanca (Giovanna Seymour) et Ildebrando d’Arcangelo (Enrico VIII)

Et Anna Netrebko (Anna Bolena) ?! A certains moments j’avais l’impression de voir et d’entendre Maria Callas. Exceptionnelle! Voix puissante, nuancée, à l’aise dans la vocalise et capable d’effets dramatiques hors de portée de moult sopranos coloratures. Certes quelques petites impuretés dans le suraigü, quelques contre-ut n’étaient pas techniquement exceptionnels mais ils imposaient leur force expressive époustoufflante… Anna Netrebko est une cantactrice ! (j’ose le mot-valise) hors pair, une artiste exceptionnelle ! Quelle expressivité, quelles tensions dramatiques dans ses tentatives de justification auprès de cette belle pourriture d’Henri VIII. Ces airs de colères m’ont pétrifié ainsi que la scène de quasi-folie où elle embrasse le page Smeaton (la contralto Elisabeth Kulman) qui l’a bêtement perdue…Je retiens également le duo sublimissime des deux rivales (Giovanna et Anna) sans oublier le tableau émouvant entre Anna et sa petite fille.

Anna Netrebko dans Anna Bolena au Staatsoper
Anna Netrebko dans Anna Bolena au Staatsoper

Dès le début, une saine émulation entre toutes ses grandes voix. Grandiose ! Il était dur de tenir debout dans le parterre des Stehplätze!!! En particulier la complicité vocale d’Anna Netrebko avec Elina Garanca est évidente. Magnifiques toutes les deux, avec des voix hors-du-commun !! Il n’y a après tout pas à s’en plaindre : les voix sont belles et en plus elles sont belles, gracieuses, crédibles. Des divas au sens premier du terme, de ces femmes qui alimentent l’univers fantasmatique des opera-lovers masculins dont je suis!

Francesco Meli campait un Lord Percy admirable. C’est la première fois que je entendais en live ce tout jeune ténor italien ! Il vocalisait avec une puissance que je ne lui soupçonnais pas. C’est peut-être dû à la qualité acoustique de l’Opera de Vienne dont une usine opératique parisienne, sise non loin de la Bastille, devrait largement s’inspirer (on ne se lassera jamais de le répeter) … Son dernier aria était particulièrement touchant, même s’il a encore des progrès à accomplir dans son jeu d’acteur un peu trop statique à mon goût (mais il est jeune, il n’a même pas encore 32 ans !)

Malgré son début difficile (empathie du chanteur qui parle), ill(debrando?) sera bon au dernier acte. Certes à l’entame la voix restait un cran en deçà de ce qu’on lui connait mais quelle présence : au sein de toutes ces beautés féminines, il parvient à s’imposer en roi crédible et séducteur au possible ! Smeaton et le frère d’Anna Bolena complétaient ce tableau vocal de très grand pedigree!

Un petit mot sur la mise en scène également d’Eric Génovèse. Elle alliait costumes magnifiques et décors quasi intemporels constitués principalement de panneaux qui s’abaissent progressivement (j’ose y voir une métaphore de la lame du bourreau approchant), lesquels deviennent des murs mobiles qui se resserrrent inexorablement autour de la pauvre Anna pour finir par devenir le Donjon où elle, son frère, le page et son premier amour Percy finiront. A l’instar du dernier film de Justin Chadwick (Deux soeurs pour un roi) : la Reine est morte, vive la Reine !! Si le destin tragique d’Anna ne fait aucun doute dans la mise en scène de Génovèse, la touchante apparition de la fille de la malheureuse épouse d’Henry VIII (la future Elisabeth I), illumine d’un rayon de lumière, porteur de vie et d’éternité, cette figure historique féminine hors du commun que fut Anna Bolena. Un tableau final particulièrement réussi donc !

On ne comptera donc pas les levers de rideaux en cette soirée du 11 avril 2011. Le public viennois était hystérique. Ca aussi ça fait partie de la magie de cette représentation. Avec Roberto Alagna et Angela Gheorghiu présents dans l’assemblée et disons le parmi les plus bruyants des spectateurs (il sait siffler Roberto), une petite touche glamour et « people » pour couronner l’une des plus belles, sinon la plus belle soirée d’opéra que j’ai eu au cours de cette année 2011 !!

« Wean » Ich liebe dich !!!