Opera de Lille

Ouverture de l'Opera de Lille : un rake's progress Lillement menée :)

Opera de Lille
Opera de Lille

Première de The Rake’s Progress de Stravinsky à l’Opera de Lille – 9 octobre 2011
Direction musicale : Arie Van Beek
Mise en scène : David Lescot
Assistante à la mise en scène : Sophie Picon
Scénographie : Alwyne de Dardel
Costumes : Sylvette Dequest
Lumières : Joël Hourbeight
Chef de chant : Emmanuel OlivierAvec :

Alek Shrader : Tom Rakewell
Christiane Karg : Anne Trulove
Alan Ewing : Trulove
Christopher Purves : Nick Shadow
Frances Mc Cafferty : Mother Goose
Anne Mason : Baba-Turk
Alasdair Elliott : Sellem

Orchestre de Picardie
Choeur de l’Opéra de Lille – Direction Yves Parmentier

Très belle entrée de saison pour l’Opéra de Lille !

Pour sa première mise en scène d’opéra, David Lescot, homme de théâtre, est plutôt prometteur. Le choix a été fait de transposer l’intrigue à une époque proche de la nôtre. Sa mise en scène est assez épurée voire dépouillée mais elle est efficace permettant à quelqu’un peu, familier de l’œuvre, de suivre parfaitement l’action et d’en saisir les subtilités.

On saisit aisément les saisons qui se succèdent grâce à une utilisation métaphorique de couleurs dominantes (l’opéra se déroule en un an et un jour et commence au printemps). Un bleu printanier accueille les deux amoureux Tom et Anne, puis flamboie le rouge du bordel et de l’été. L’automne est suggéré par une dominante orangée et l’imperméable porté par Anne. Viennent enfin le gris de l’hiver.

Les appartements londoniens du débauché sont de simples structures métalliques à travers lesquelles se détache le skyline londonien. Ces structures se rempliront de pans de murs à l’effigie de Baba puis d’objets hétéroclites (un pingouin, un brochet géant, des bustes, des tableaux, etc…), très belle illustration de l’union avec Baba et son arrivée imposante sinon assommante chez son jeune mari.

Autre point fort de cette mise en scène de David Lescot, les fils conducteurs. J’en ai repéré deux principaux, le drap et la roue de vélo

Le drap est un objet que l’on retrouve à tous les actes. C’est en jouant avec des draps que l’on découvre les deux tourtereaux Anne Trulove et Tom Rakewell. Ce drap permettra à Nick Shadeau d’émerger comme par magie sur scène à l’acte I (effet très réussi). Des draps également, on verra sortir deux puis une troisième prostituées. Les draps sont aussi utilisés pour la scène de mise aux enchères (scène 1 de l’acte III) et permettront de faire oublier Baba la turque, réduite à l’état de meuble après que Tom, excédé par sa chatterie, lui a écrasé un tableau sur la tête. Enfin, c’est un large morceau de tissu, sale et troué, qui couvrira le pauvre Rakewell devenu fou et qui se prend pour Adonis à la dernière scène de l’acte III. Le blanc n’est alors plus là pour suggérer la pureté mais la folie de l’asile de fou de Bedlam

Le vélo est également à l’honneur (je n’ose pas imaginer un lien entre la sortie tout récente du vélo en libre service dans la métropole lilloise, même si je trouve que ce serait bien vu 🙂 Quoi qu’il en soit, ces deux roues, en plus d’aider à fluidifier les déplacements des personnages nous offrent aussi un clin d’oeil au temps qui passe et aux saisons qui rebouclent sur elles-mêmes. On les retrouve à tous les actes sous des variantes diverses : Tom, le paresseux, s’imagine conduire une rutilante moto alors qu’il n’est que sur un simple vélo (scène I acte I). Si tout était aussi facilement métamorphosable…Dans la scène du bordel (scène 2 acte I), une méridienne rouge tractée par un vélo sert de couche à Goose Mother et sera le lit dans laquelle Tom viendra se dépuceler. Plus tard, apparaîtra et disparaitra Baba la turque sur un pousse-pousse.

Par ailleurs, quelques procédés habiles sont à mentionner dans cette mise en scène, par exemple des mises en abîme. L’acte I scène 1 nous offre une lumière bleu printanière avec au coin supérieur l’ombre d’un feuillage. C’est ce même paysage que l’on retrouve dans un tableau peint sur lequel Tom se lamente du temps des amours avec Anne (scène I de l’acte II).

Le troisième vœu (le bonheur de l’Humanité), acte II scène 3, est suggéré par l’apparition d’une maquette d’usine dont les cheminées fument quand on introduit une pierre par la fente de l’un de ses murs. Le pain fabriqué apparaît sous la forme d’une tranche de pain de mie grillée que Tom attrape en plein vol !

L’Acte 1 scène 2 (la scène du bordel et du dépucelage de Tom) est particulièrement réussie ! Dominante de rouge velours et froufrous pour symboliser la passion mais aussi l’été qu’on devine. Sur deux niveaux : les personnages principaux (et quelques prostituées) en bas et en haut en arrière plan le gros de la troupe des filles de joies toutes habillées à l’identique et des clients tous vêtus d’une chemise blanche, de bretelles noires, de melons et brandissant phalliquement leur canne (clin d’œil aux mauvais garçons d’Orange mécanique de Kubrick). Ces cannes permettront grâce à des jeux d’ombres lascives d’évoquer les ébats sexuels de ces derniers avec les filles de joie.

Mentionnons pour finir l’épilogue où émerge du fond de la scène une structure en forme de loges ouverte sur le public à partir desquelles les personnages viendront dire leur moral tandis que des fous continuent de passer cà-et-là

Passons aux musiciens maintenant. Les interprètes des trois rôles principaux étaient très bons, tant sur le plan vocal que théâtral.

Le jeune ténor américain Alek Shrader, au physique de top-model, m’a totalement convaincu en jeune rêveur, tantôt malléable et naïf, tantôt attendrissant lorsqu’il est assailli de remords, au souvenir récurrent de l’amour pur qu’il a bafoué. Ses graves étaient puissants et timbrés, ses aigus faciles en voix pleine comme en mixte. Sa technique lui permet de colorer ses personnages (Tom et Adonis) et leurs différents états de façon extrêmement fine. Sa cavatine « Love, too frequently betrayed » était magistralement interprétée tout comme son grand air de l’acte 2 scène I de « Vary the Song o London ». A la dernière scène de l’acte III, son arioso « prepare yourself » était servi par un mixte fort agréable.

Christiane Karg chanta admirablement le rôle d’Anne Trulove. Ayant le physique du rôle, elle aussi, la jeune soprano était quelquefois couverte dans le bas médium au début de l’acte I mais très vite ses aigus ciselés (ses contre-uts étaient impeccables) nous emportent. Son air de la scène III de l’acte I Quietly Night était très bien mais elle brilla particulièrement dans la cabalette où ses aigus en disaient long sur l’agilité de cette voix talentueuse. La berceuse de l’acte III scène 3 servie par des pianos particulièrement réussis donnait des frissons. Le duo final de l’asile entre Tom/Adonis et Anne restera l’un des plus beaux moments de cette production lilloise.

Christopher Purves interpréta diaboliquement bien 🙂 le rôle de Nick Shadow. Le baryton britannique était excellent : doté d’une voix puissante et d’un jeu d’acteur étonnant, il vient compléter le trio de tête de cette belle distribution ! Servile, puis calculateur et machiavélique à souhait. Son air de l’acte II scène I « in youth the panting slave pursue » était pernicieux à souhait. Une présence remarquable pour ce chanteur qui réussissait parfaitement sa transformation de notaire obséquieux, à celui de mentor, d’ami pour enfin révéler sa diabolique identité. Son air de rage (fin de l’acte III) « I burn I burn» était impressionnant de puissance et de violence. Son duo avec Tom à la scène 1 l’acte II m’a laissé un très beau souvenir : les deux comparses chantant non seulement parfaitement ensemble mais mimant les gestes de l’un et l’autre dans un même délire.

Les autres voix étaient aussi intéressantes. Baba la Turque (Anne Mason) souffrait un peu dans les graves mais fut convaincante et à l’aise dans son air de colère « Sold, Annoyed » (fin de la scène 1 de l’acte III). Mentionnons aussi Alasdair Elliott en commisseur-priseur Sellem qui avait une voix bien placée et sonore pour ce rôle pas facile du tout. Frances Mc Cafferty en Mother Goose aussi était très drôle en sorte de Madame Pepperpot perverse. La figure paternel de Trulove était honorablement servi par Alan Ewing.

Les chœurs et l’orchestre (mention au claveciniste et aux cuivres), dirigés admirablement par Arie Van Beek, ont été chaudement applaudis. Les choristes sont certes bien moins nombreux que dans un chœur d’opéra comme celui de Bastille, mais la qualité y est indiscutablement. Dans un effectif plus restreint le jeu des choristes est encore plus important et les choeurs de l’Opéra de Lille servit lui aussi cette bien belle production de l’Opéra de Lille.

Très belle entrée de saison pour l’Opéra de Lille ! Mais je crois que je l’ai déjà dit 🙂