opera et terrorisme…Faut-il céder à la terreur ? Suite à l’horreur, nombre de théâtres en France ont logiquement contacté leurs spectateurs (abonnés ou non) pour les avertir que les représentations continueraient à la suite des attentats de Paris. Les communications de ces institutions culturelles mettaient en avant également la présence de contrôle accru. L’Opera de Lille, l’Opera de Paris ou encore la Philharmonie de Paris que je fréquente régulièrement n’ont pas hésité à communiquer auprès du public des mesures de sécurité allant jusqu’à l’interdiction de laisser des sacs de voyage ou des valises aux vestiaires.
Ces précautions prises par les théâtres d’opera comme par toutes les institutions culturelles sont la première réponse aux terroristes de Daech. En effet, ces monstres visaient clairement la culture, la musique et la jeunesse.
Opera et terrorisme : la réaction est également très vite et fortement venue des artistes eux-mêmes. Le nombre d’artistes lyriques qui ont bleu-blanc-rougisé leur photo de profil est impressionnant. A l’heure où j’écris ce post, quelques jours après les atroces événements, j’ai relevé des dizaines de photos bleu blanc rouge sur le réseau social le plus utilisé de la planète.
Au premier rang, nombre de grandes figures lyriques françaises portent encore le filtre bleu blanc rouge sur leur page personnel ou leur fanpage officielle: impossible de citer tout le monde, cela n’aurait de toute manière aucun intérêt. De la soprano Patricia Petibon, aux mezzo-sopranos Karine Deshayes, Marie-Ange Todorovitch en passant par le contre-tenor franco-marocain Rachid Ben Abdeslam, la chef d’orchestre Emmanuelle Haïm; les artistes sont légions. Nos amis américains, on le sait, ont vivement réagi. Entre autre, on peut mentionner le grand baryton Thomas Hampson et la mezzo-soprano Joyce di Donato. On peut mentionner entre autres, la soprano lettone Kristine Opolais, Le tenor péruvian Juan Diego Florez.
Après les premières mesures d’urgence, les maisons d’opéra ont rejoint également le combat. Partout en France les hommages se sont multipliés dans les maisons d’operas , comme ci-dessous à l’opéra d’Avignon.
ou encore lors de la générale de la Bayadère à Bastille où le directeur de l’Opera de Paris, Stéphane Lissner, a fait un émouvant discours.
A l’étranger, l’iconique Opera de Sydney drapé du drapeau tricolore fut un autre symbole fort de l’implication du monde lyrique et des peuples contre la barbarie de ces terroristes.
La Marseillaise s’est élevée sur la scène du temple de l’art Lyrique mondial qu’est le Metropolitan Opera de New York. Les musiciens et choristes dirigés par l’immense Placido Domingo, avant la représentation de Tosca, ont rendu également un hommage vibrant aux victimes de Paris et à la paix. Même le public new-yorkais participa à cet hommage aux victimes. La direction du Metropolitan Opera avait placé au sein du programme de la soirée une feuille où notre hymne national français étaient indiquées.
Opera et terrorisme…mais le plus bel hommage aux victimes, ne serait-il pas de continuer à vivre, rire et chanter, à peupler ces théâtres, ces salles de concerts, ces opéras que le monde entier nous envie ? Ne pas céder, continuer à aller dans les salles obscures fussent-elles cinématographiques, orchestrales et bien sûr lyriques pour lutter contre ces obscurantistes. Je répondrai présent comme prévu à la Damnation de Faust à l’Opera de Paris ou La nouvelle production d’Il Trovatore de Verdi à l’Opéra de Lille. Ne laissons pas ces obscurantistes s’attaquer à notre culture occidentale et ce genre si singulièrement européen qu’est l’Opera.
“Opera et terrorisme : la réponse du monde lyrique” de Ramzi SAIDANI est sous les conditions de la licence Creative Commons Attribution 3.0 France
Durant cette année 2014, les hommages à Rameau ont été nombreux. Lille n’a pas démérité. Pour le 250ème anniversaire de ce compositeur de génie, l’Opera de Lille a programmé l’un de ces chefs d’œuvre : Castor et Pollux dans la mise en scène poético-physique de Barrie KOSKY, directeur du Volksoper de Berlin. En plus des cycles de conférences sur le compositeur et son œuvre, de nombreux concerts notamment dans le cadre des concerts du Mercredi ont été donnés à l’Opera de Lille. Un autre événement m’a aussi enthousiasmé parce qu’il faisait échos à la modernité de ce grand compositeur français. Il s’agissait d’une exposition autour de Rameau intitulée « Musique en Lumières : Jean-Philippe Rameau, la sensibilité dans l’harmonie ». Pourquoi j’ai été emballé par cette exposition ? Parce qu’en plus de présenter des partitions originales du Maestro et des documents d’époque, dont la ville de Lille est richement dotée, elle offrait aux visiteurs une expérience novatrice grâce à la technologie sans contact (NFC).
En effet que ce soit à la Bibliothèque de Lille puis à l’Opera de Lille, les visiteurs pouvaient, après s’être connecté à un réseau wifi dédié, via leur téléphone scanner les étiquettes NFC (sans contact) ou photographier des codes-barres 2D (encore appelés QR-Code) placés sur les vitrines contenant les partitions.
Ce faisant, ils faisaient apparaître une page web mobile permettant l’écoute des extraits de la musique contenus dans ces pages. La petite vidéo suivante montre une des interactions que j’ai eues avec les partitions et comment il était possible de bénéficier d’une écoute interactive des partitions exposées.
Pour les visiteurs de l’exposition, tout était prévu. Si l’on ne disposait pas de smartphones NFC (par exemple un iPhone qui ne permet toujours pas de scanner les tags NFC), il était toujours possible de se replier sur des QR codes (petits dessins géométriques à photographier via une application dédiée). Si le visiteur ne possédait pas de téléphone ou possédait un téléphone trop ancien pour interagir avec des QR codes, il lui était possible d’emprunter l’une des tablettes mises à disposition des visiteurs pour leur parcours dans l’univers de Rameau.
Une affaire d’équipe lillois de l’Opera de Lille au CITC !
Mais comment est né un tel projet ? J’ai eu l’opportunité de rencontrer Solen CAU, chargée de l’information et des médias à l’Opera de Lille qui m’a raconté la genèse de ce projet alliant musique et digital! Elle m’a raconté qu’à l’origine, c’est la passion de l’avocat lillois Jacques-Joseph-Marie Decroix (1746-1826) pour la musique de Jean-Baptiste Rameau. Je m’explique, après la mort de du compositeur, ce fan lillois rassembla une importante collection de partitions, de livrets ou d’autres document imprimés ou manuscrits, de ses œuvres. Les héritiers de ce bienfaiteur/collectionneur firent don de cette collection (appelée « Fonds Decroix ») à la Bibliothèque nationale de France.
A Lille, notamment à la bibliothèque, ce fond est bien connu. Cela donna l’idée à Laure Delrue, directrice adjointe à la Bibliothèque municipale de Lille de mettre sur pied une exposition s’appuyant sur le patrimoine que la ville de Lille a pu constituer autour de l’œuvre de Rameau.
Partitions, livrets et autres documents étaient prêts. Mais l’on voulait aller plus loin en proposant une expérience interactive et multimédia. Pour l’occasion, les extraits des œuvres exposées ont été interprétés par le Concert d’Astrée, la célèbre phalange baroque d’Emmanuelle Haïm, qui est en résidence à l’Opera de Lille. L’opera de Lille s’est aussi associé à l’événement en hébergeant une partie de l’exposition dans sa magnifique salle de la Rotonde pendant la période de représentation de Castor et Pollux. Pour associer ces enregistrements aux partitions exposées, il fallait des compétences techniques. Un autre acteur local fut donc mobilisé. C’est là qu’intervient le Centre d’Innovation des Technologies sans Contact (CITC) via notamment le travail d’Ali Benfattoum. Le CITC a mis sur pied un mini-serveur hébergeant les extraits des œuvres de Rameau. C’est ce serveur qui était interrogé via une connexion WIFI dédiés quand les visiteurs flashaient avec leur téléphone les étiquettes sans contact (QR-Code et NFC).
A ma connaissance, l’utilisation du NFC au sein d’un opera (en l’occurrence à l’Opera de Lille) est rarissime France. Il faut mentionner que ce n’est pas la première fois qu’un parcours NFC est proposé dans les murs de l’opéra de ma bibliothèque de Lille et de l’Opera de Lille. Un autre musicien baroque, contemporain de Rameau, Jean-Joseph Cassanéa de Mondonville (1711-1772), qui fut maître des violonistes aux « concerts de Lille », s’est vu rendre hommage via le sans contact. Dans le cadre du tricentenaire de sa naissance, un parcours musical et historique sur les traces du compositeur fut proposé en 2011.
Bravo à l’Opera de Lille. On espère que cela donnera des idées à d’autres maisons. Ce qu’on aimerait voir plus d’initiatives alliant digital et musique classique dans les operas et les théâtres !
“oopera de lille, bibliothèque, CITC, concert d’Astrée : tous pour Rameau” de Ramzi SAIDANI est sous les conditions de la licence Creative Commons Attribution 3.0 France
«Le Barbier de Séville», le célèbre opéra de Rossini que le maître de Pesaro composa lors de 24ème année en 3 semaines sera retransmis en direct de l’ Opéra de Lille le 18 mai (cool c’est mon anniversaire :). En plus de la Capitale des Flandres, Dunkerque, Armentières, Hazebrouck, Saint-Omer, Montreuil-sur-Mer, l’Athènes du Nord (Valenciennes) et leur cousine belge Courtrai pourront entendre retentir la célèbre cavatine de Figaro (Largo al factotum).
Les 9 représentations affichant complet, c’est une excellente idée de permettre à ceux qui n’ont pas eu de place de pouvoir en profiter d’aussi belle façon. Les quelque 10000 places disponibles des 9 représentations et de la générale (l’Opéra de Lille compte environ 1300 places) sont parties aussi rapidement que les vocalises de Rosina (on ne peut que s’en féliciter :).
L’utilisation des écrans avait déjà été explorée par l’Opéra de Lille en 2010. L’Opéra de Lille avait en effet diffusé gratuitement le chef-d’œuvre de Bizet Carmen (opéra le plus joué au monde) mais seulement à Lille et dans quelques villes alentours.
L’opéra-tion ( 🙂 ) autour du Barbier est en effet beaucoup plus ambitieuse. D’abord, le Nord ne sera pas le seul a profiter de ce Barbier et de la mise en scène plein de jeunesse de Jean-François Sivadier car on pourra entendre l’œuvre en direct aussi sur France Inter et la voir sur le site web d’Arte. Mais ce n’est pas tout, en complément des activités ainsi que de petits concerts autour de l’opéra de Rossini seront proposés aux Lillois et touristes de passage à la maison folie Beaulieu de Lomme. C’est aussi dans cette ville proche de Lille que l’oeuvre sera diffusée dans les 400 chambres de l’Hôpital Saint-Philibert. La musicoperathérapie !
C’est une belle opéra de communication pour la maison opératique lilloise qui compte parmi les plus dynamique opéras de province. Mais c’est aussi l’illustration d’un mouvement qui s’accentue : l’Opera cherche résolument à dépasser l’enceinte de son théâtre.
Complétement accessible en tout cas en province où dans une salle comme l’opéra de Lille, les places avec une visibilité pourtant correcte sont disponibles à 5 euros (moitié moins qu’une place de cinéma)., il n’y a juste qu’à faire montre d’un peu de curiosité pour découvrir un univers. Pour le très grand public qui quelque fois s’auto-censure, ne s’estimant pas à la hauteur de recevoir le cadeau merveilleux qu’est l’Art lyrique, les murs de pierres de taille des institutions lyriques peuvent s’apparenter à de vraies murailles.
Les diffusions en plein air en direct sont sans nul doute un formidable levier pour courtiser un nouveau public, plus large que les abonnés ou les habitués. Elles sont largement pratiquées par des institutions prestigieuses tels que le Wiener Staatsoper et le festival de Salzbourg, où des écrans sont régulièrement installés pour diffuser en direct des œuvres majeures du répertoire contribuent à convertir ainsi des milliers de touristes qui passe dans ces villes dévolues à la musique. La diffusion de live dans les opéras dans les cinémas peut également aider à passer le pas accéder à une expérience du lyrique.
Selon les dires de la directrice de l’Opera de Lille Caroline Sonrier, reportés dans la Voix du Nord, un tiers des personnes assistant à la diffusion de Carmen n’avaient jamais vu auparavant un opéra en direct. Le choix lillois du Barbier comme de Carmen en 2010 n’est pas un hasard : ce sont des œuvres universelles, très accessibles. Qui ne connait pas un air de Carmen..?
La toile n’est cependant pas le seul moyen d’intéresser au 6ème art. Certaines villes proposent par exemple des parcours découvertes de la ville autour de 3 opéras. En particulier Séville offre à ses nombreux touristes des itinéraires ayant pour thème les lieux justement où se déroulent 3 des operas majeurs du répertoire qui se passent dans la capitale andalouse (Carmen, le Barbier de Séville justement et Don Giovanni)
La diffusion d’opéra dans des lieux mythiques tels que les arènes de Vérone où au pied des célèbres pyramides d’Egypte attirent des touristes souvent d’abord davantage intéressés par le lieu (contenant) que le contenu.
Les flash mobs sont également largement sollicités dans le monde de la musique classique, comme l’illustrent ce chœur des esclaves de Nabucco sur une place de Grenoble, cette Ode à la Joie sur une place espagnole de Sabadell (ville du nord-est de l’Espagne).
L’opéra de Rennes proposera en juin 2013 une expérience d’opéra sur tablette innovante grâce au partenariat technologique d’Orange. La fondation Orange est d’ailleurs l’un des partenaires de la diffusion du Barbier de l’Opéra de Lille (Voir mon article d’avril à ce sujet)
Le digital, du mobile et de ses applications peuvent en effet être astucieusement utilisés pour attirer l’attention, susciter l’intérêt et développer le désir et provoquer l’achat, selon la bonne vieille méthode AIDA, tiens encore un autre opéra 🙂 . C’est tout l’objet justement de opera-digital.com que de vous faire découvrir ce que pourront être les expériences du lyrique et la musique classique de demain.
Largo al factotum della città…
L’Opéra de Lille prend l’Air de Ramzi SAIDANI est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution 3.0 France.
Austerlitz d’après l’oeuvre de Sebald – Opéra de Lille, 18 novembre 2011
…Il ne s’agit pas d’un opéra mais d’une pièce musicale, créée au dernier Festival d’Aix, du jeune compositeur français Jérôme Combier. Cette oeuvre se base comme son titre le laisse entendre sur le roman Austerlitz de Winfried Georg Maximilian Sebald.
La musique accompagne et des bruits ou ambiances enregistrés viennent illustrer les situations narrées, devancer, amplifier ou tempérer les sentiments des deux personnages masculins principaux, Jacques Austerlitz lui-même et le narrateur qui dans l’œuvre de Sébald rencontre pour la première fois ce singulier personnage dans la gare d’Anvers.
Jérôme Combier n’aborde pas tous les passages du Roman de Sebald. La sélection de passages choisis et qu’il a mis en musique permet toutefois, à qui n’a pas lu Austerlitz, de saisir toute la force de ce chef d’œuvre, de voir en 1h30 l’énigme entourant Austerlitz se résoudre pas à pas, mesure après mesure. La musique est complexe (l’auteur dira à la fin de la Première lilloise au cours d’un échange avec le public que nombre de passage sont nés de l’association des lettres des noms des personnages à des hauteurs de notes attribuées arbitrairement. Quoi qu’il en soit si je fus incapable de saisir le côté quasi mathématique de ce procédé, j’ai perçu assez souvent le côté obsessionnel et rythmé de certains passages qui renvoient clairement aux saccades sonores caractéristiques des trains filants sur les rails (rappelons que le héros éponyme du roman éprouve une fascination mystérieuse pour les gares et leur architecture…) ou encore les leitmotivs caractéristiques des personnages (Austerlitz, sa nourrice, sa mère…).
Les projections vidéo de Pierre Nouvel ainsi que les lumières de Bertrand Couderc avec ses dominantes de noir, gris et blanc épaulaient la mise en scène efficace de Jerôme combier et Pierre Nouvel.
Le comédien Johan Leysen est parvenu à nous faire vivre ce double voyage dans la mémoire et dans la Vieille Europe, marque de ce roman de Sebald. Doté d’une excellente diction en français avec un très léger accent flamand (il est néerlandophone), il s’est fort bien tiré de ce difficile effort de mémoire qu’exige cette œuvre. Il quittait quelquefois la scène ou des passages d’autres personnages enregistrés pouvaient laisser quelques instants de répit à sa mémoire. S’il a pu de temps à autres, se reprendre, si sa langue a pu fourcher, que cela fût involontaire ou pas, cela contribuait avec justesse à exprimer les états d’angoisse ou de tristesse du principal protagoniste, Jacques Austerlitz, que tantôt il décrivait (dans la peu du narrateur) ou qu’il jouait.
En un mot, pour qui veut s’y frotter, ce format d’œuvre offre une très bonne formule pour rentrer dans le monde souvent complexe et ésotérique de la musique contemporaine.
span class= »postbody »>Dramma per musica en trois actes de Georg Friedrich Handel (1685-1759). Livret de Vincenzo Grimani. Créé en décembre 1709 à Venise.
Direction musicale : Emmanuelle Haïm
Mise en scène : Jean-Yves Ruf / Assistante : Anaïs de Courson
Scénographie : Laure Pichat
Costumes : Claudia Jenatsch
Lumières : Christian Dubet
Création maquillage : Cécile Kretschmar
avec
Alexandra Coku : Agrippina
Alastair Miles : Claudio
Sonya Yoncheva : Poppea
Tim Mead : Ottone
Renata Pokupic : Nerone
Riccardo Novaro : Pallante
Pascal Bertin : Narciso
Jean-Gabriel Saint-Martin : Lesbo
La bête : Cyril Casmèze
L’eunuque : Arnaud Perron
Le domestique : Pierre Hiessler
Orchestre Le Concert d’Astrée
Pas évident de mettre en scène un opéra baroque surtout Agrippina d’Handel à l’intrigue compliquée et qui comporte pas moins de 35 airs, ariosos différents bien souvent sous la forme da capo, le risque étant de tomber dans la surenchère voire à l’indigestion visuelle ou les effets faciles sont sans cesse mobiliser pour compenser le statisme des personnages. Mais quel intérêt pour cette œuvre où la musique est habitée d’un foisonnement inouï.
S’appuyant sur un casting excellent, Jean-Yves Ruf joue donc la carte de la simplicité pour mener notre attention avant tout sur le jeu des chanteurs, tous très bons comédiens. Le casting est en effet très efficace : tous les personnages étaient physiquement crédibles dans le rôle qu’ils devaient incarner et les couleurs de leur voix collaient bien à l’imaginaire qu’on se faisait des personnages.
Les deux sopranos de l’opéra sont extrêmement complémentaires : l’américaine Alexandra Coku est une grande femme magnifique, dans la force de l’âge, au timbre incisif, est idéal pour ce personnage manipulateur qu’est Agrippine. A l’opposé, la fraîcheur brune de la belle bulgare Sonia Yoncheva et son timbre capiteux offre une autre image plus romantique de la féminité.
Alastair Miles, grande basse au crâne dégarni nous donne un empereur Claude, un peu naïf (c’est un peu le dindon de la farce en réalité :). Nerone est campé par la petite (de taille) mezzo-soprano Renata Pokupic au look d’adolescent. Le contre-ténor britannique Tim Mead, au physique délicat et à la voix pure mais sonore a tout pour incarner à la perfection le romantique Ottone. Les deux courtisans, Pallante et Narciso (respectivement Riccardo Novaro et Pascal Bertin) sont crédibles et nous offre un vrai duo de Dupond-Dupont. N’oublions pas non plus, malgré une moindre présence sur scène pour ce personnage, l’espiègle basse Jean-Gabriel Saint-Martin, en fin Lesbo.
Un casting de rêve que le metteur en scène met en valeur grâce au dénuement des décors. A ce titre, le parti pris d’intégrer des sortes « d’avec moi » aux deux personnages féminins m’a paru très judicieux. Une sorte de bête (gros chien joué par Cyril Casmèze) et un domestique accompagnent quasi constamment l’ambitieuse Agrippine alors qu’un eunuque est sans arrêt au côté de la jeune et fraîche Poppea. Ces personnages satellites servent à la fois de prolongation du « Moi » de ces femmes et d’écrans humains où peut s’exprimer avec netteté la complexité de la psychologie de leur personnalité. Ainsi tapie ou grognante, la bête symbolise-t-elle les sentiments qui résonnent dans le for intérieur d’Agrippina : ou la rage qui cache une ambition entravée prête à ressurgir ou l’orgueil quasi jubilatoire de mener la danse. L’eunuque, lui, sert de miroir ou de réceptacle à la rage et la méchanceté latente de Poppea, quand lucide sur la tromperie dont elle a été victime, elle bascule du statut d’adolescente fragile à celui de femme devenant elle aussi manipulatrice.
Le choix est de porter l’intrigue à une époque moderne avec l’intérieur de ce qu’on devine une grande maison bourgeoise et une présence évidente de la sphère militaire (bottes ou gants noires et costumes beiges ou noirs rehaussés de motifs brodés, d’épaulettes, d’aiguillettes) pour les hommes (Ottone et Claudio) et quelquefois pour les femmes (scène du jardin de l’Acte III). Les courtisans eux portent le même 3 pièces avec chaussures Richelieu bicolore noires et blanches (vraiment Dupont et Dupond). Avec un petit détail bien vu par le metteur en scène : au premier acte, les couleurs de leur cravate et chemise sont antagonistes (quand l’un porte une cravate rouge et une chemise blanche, l’autre portera la chemise rouge et la cravate blanche) alors que l’opposition des couleurs « du dessous » s’effacent, symbolisant leur ralliement face à la fourberie d’Agrippine.
L’espace est simplement divisé par de grands rideaux de chaines formant tantôt des parallélépipèdes tantôt des volumes cylindriques où viendront se cacher ou apparaître ou faire les traditionnels fausses sorties des da capo. Les appartements de Poppea sont caractérisés par le lit que viendront cerner les bouquets et vases de ses nombreux admirateurs. Le proscenium est utilisé avec intelligence, les chanteurs n’hésitant pas à interagir avec le public et l’orchestre (distribution de l’or – ici des billets aux membres de l’orchestre ; discours adressés au peuple-ici le public). Le tableau du jardin est très réussi (lumières magnifiques) avec des arbres et le rideau de chaines dont le bruit imite le doux murmures des eaux qu’habitent les Crénées.
Alexandra Coku en Agrippine nous a donne une très belle prestation. Très bonne comédienne, elle sait jouer toutes les palettes émotives et psychologiques de ce personnage complexe (tantôt hiératique et hautaine, tantôt lascive ou castratrice). Manipulatrice, attendrissante en mère possessive, séductrice, tentatrice hypocrite assumée à l’intarissable rouerie. Elle a tenu ce rôle écrasant plus de 5 ou 7 arias dont le magnifique « Pensieri, voi mi tormentate » aux dissonnances et à la forme insolite pour l’époque (1709), superbement interprété. Elle a la vocalise facile, capable de prodiguer les nuances (pianos), on déplorera seulement quelques accents ci-et-là un peu trop métalliques dans le suraigu.
La très belle Sonya Yoncheva fut une admirable Poppea. Son timbre plus capiteux sied parfaitement à cette jeune fille qui va vite apprendre elle aussi à manipuler que son aîné. Quelle sûreté dans la voix ! Tout comme Agrippine elle tient le marathon vocal de son rôle avec une formidable aisance et une très bonne présence scénique. La candeur naïve fait place au calcul vindicatif et à la séduction pour effacer l’outrage qui lui est fait. Puissance et agilité sans faille dans ses airs de colères (« Per punir chi m’ha ingannata »). Au passage, le metteur en scène n’a d’ailleurs pas hésité avec bonheur à la faire jouer de ses formes avantageuses.
Tim Mead, jeune contre-ténor au physique de jeune premier était excellent en Ottone. Colorature, timbre angélique, il a tout pour devenir un des tout grands contre-ténors de la décennie. Epoustouflant de lyrisme et de tristesse dans ses airs tristes (« Voi che udite il mio lamento », « Tacero, tacero purche fedele») et en particulier dans l’arioso «Vaghe fonti, che mormorando»). On aurait cru vivre une scène de conte de fée, tellement lumière, musique et voix confinaient à l’excellence à ce moment de l’opéra. C’était sa première apparition à l’opéra de Lille. On se réjouit déjà de son autre Ottone dans la production du Couronnement de Poppée, à l’affiche en mars 2012 à l’Opéra de Lille.
La basse anglaise, Alastair Miles nous délivra un Claudio comique, comme on l’espérait, un peu sur le mode du président de la principauté de Groland, tantôt gauche, quelques fois fantoche et comme télécommandé par son serviteur Lesbos. Excellent dans le rôle comique de l’Empereur à la Groland, un peu à côté de la plaque. Vocalement, il était très bon. Sa voix est puissante et charnue, il y a eu juste à se plaindre (si l’on peut dire 🙂 de deux notes certes extrêmement graves qui, peu sonores, dépareillaient du reste de sa prestation dans son air « Cade il mondo soggiogato ».
La mezzo-soprano croate Renata Pokupic a interprété brillamment le rôle de Nerone. Colorature facile, grave sonore, ornements brillants, non avare de suraigus, elle exprimait parfaitement la nervosité et l’ambition du jeune Neron, annonciatrices de sa folie à venir.
Le contre-ténor Pascal Bertin campa un courtisan romantique à l’excès, craintif dans sa docilité et qui comme le héros de Proust fantasme à la seule vue d’une cheville blanche dénudée. Très beau timbre, voix moins sonore (en tout cas dans cette production) que celui de Tom Mead mais qui va justement bien au personnage de Narciso.
Le baryton Riccardo Novaro, fut un Pallante (l’autre courtisan) efficace. Vocalise aisée ( « La mia sorte fortunata »), ce qui pour une voix grave n’est pas toujours garantie. Il campait un courtisan plus fougueux, rendu docile qu’au prix d’un contact physique plus proche avec Agrippine.
N’oublions pas le petit rôle de Lesbus : Jean-Gabriel Saint-Martin a une voix puissance. On aurait aimé que son air annonçant le retour de Claude durât plus longtemps ! Quel beau timbre de basse et belle présence.
Emmanuelle Haim est dans la fosse, mais au combien sur scène avec ses chanteurs ! Elle avait une direction à la fois rassurante (indiquant les départs ; toujours à l’affût, agréable aussi dans sa gestuelle) et émulant les chanteurs, les accompagnant dans l’exploration des états psychologiques capricieux des différents de leur personnage. Tristesse absolue, ironie mordante ou hiératisme hautain, tout transparaît dans l’interprétation du Concert d’Astrée qui nous délivra ce soir encore une prestation de très haut niveau.
À compter le nombre de lever de rideaux et l’enthousiasme dont perlaient les conversations à la sortie du spectacle, il est évident que cette Agrippina d’Handel a plu au public lillois et belge de cette soirée (beaucoup de Néerlandais visiblement avaient fait le déplacement pour la première). On attend le Couronnement de Poppée où l’on retrouvera le Concert d’Astrée, Sonya Yoncheva et Tim Mead avec impatience !
Quelques clichés disponibles au lien suivant :
https://picasaweb.google.com/106335003176918915702/AgrippinaOperaDeLilleNovembre2011#